Le temps d’al­ler boire un verre au bar d’à côté, et sa femme a disparu. Pauvre Ben Affleck, juste assez falot et désa­gréable pour être soupçonné d’avoir maquillé l’as­sas­si­nat de sa propre femme. En quelques scènes de flash­backs métho­diques, Fincher orga­nise le soupçon. Il lui réglera son compte quelque temps plus tard dans un rebon­dis­se­ment phéno­mé­nal, lors d’une scène en appa­rence fleg­ma­tique mais au montage infer­nal, dont on ne révé­lera évidem­ment stric­te­ment…­rien.

On l’ou­blie trop souvent: Fincher est sans doute le réali­sa­teur actuel à la plus grande écono­mie d’écri­ture, capable de faire passer un maxi­mum de rensei­gne­ments dans la scène la plus courte, sans le moindre effet de manche. C’est ainsi que sont filmés les meurtres: impas­sibles, métho­diques, presque inci­dents, aussi méti­cu­leux qu’ex­pé­diés.

Gone Girl, d’après le best-seller de Gillian Flynn

Car voilà, s’il a tout l’air d’être une bonne petite commande d’un thril­ler du samedi soir – adapté du best-seller de Gillian Flynn, commise d’of­fice au scéna­rio – ce n’est pas tant le thril­ler qui inté­resse Fincher, que sa trilo­gie des rapports homme-femme qu’il avait entamé avec The Social Network (la petite amie de Zucker­berg refu­sant son“amitié”) puis Mille­nium (ou l’his­toire de Lisbeth Salan­der se vengeant de son violeur, sous-titré Les hommes qui n’ai­maient pas les femmes). Trompe-l’œil perma­nent, Gone Girl est un peu au couple ce que Zodiac était au crime: une enquête en forme de palimp­seste, irré­so­lue, mais qui remet de fond en comble en cause tout le fonc­tion­ne­ment de la société sur son passage.

Ben Affleck et Rosa­mund Pike dans Gone Girl de David Fincher.

Inver­sion des rapports homme-femme

Dès l’ou­ver­ture, sublime, c’est litté­ra­le­ment au voyage dans la tête d’une femme que nous convie Fincher (“Quand je pense à elle, je me vois ouvrir son crâne et dérou­ler sa cervelle, pour voir ce qu’elle pense”, sic !), qu’elle fut assas­si­née, psycho­pathe, ou les deux ! Le coup de génie de ce scéna­rio à double fond, ce n’est pas tant de multi­plier les rebon­dis­se­ments comme un pied de nez au réalisme – ce que d’au­cuns n’ont pas manqué de lui repro­cher – mais de renver­ser le point de vue entre homme et femme en plein milieu du film. Le simple thril­ler se mue alors en satire sourde contre le mariage et la famille tradi­tion­nelle (le chat est le seul person­nage dont chacun prend soin), d’au­tant plus impi­toyable que le beau rôle est sans cesse inversé entre les époux (Rosa­mund Pike dans ses oeuvres).

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En plus de retrou­ver ses grands thèmes habi­tuels (la déréa­li­sa­tion du monde et la mise en scène géné­ra­li­sée par le story telling à tous les étages, média­tique comme intime), Fincher se paie le luxe de les ramas­ser pour la première fois dans un final inso­lent qui désigne défi­ni­ti­ve­ment Gone Girl comme la grande comé­die que le film n’aura jamais cessé d’être. Cruel et céré­bral comme un Kubrick, ludique comme du Mankie­wicz, si Eyes Wide Shut avait été une comé­die, elle s’ap­pel­le­rait Gone Girl.

Gone Girl de David Fincher (2014, EU, 2h29) avec Ben Affleck, Rosa­mund Pike, Neil Patrick Harris, Tyler Perry, Kim Dickens, Patrick Fugit, Casey Wilson… Dimanche 17 septembre à 21h10 sur France 2.