C’est un film en appa­rence modeste, qui commence étran­ge­ment, au bord d’un cratère dans le désert de l’Ana­to­lie. Un jeune procu­reur, Emre, (Sela­hat­ti̇n Paşali, la révé­la­tion turque du film) commence déjà à étudier comment éradiquer la corrup­tion dans cette Turquie ances­trale et recu­lée, avant de remon­ter dans sa belle berli­ne…

La belle berline du procu­reur dans la Turquie stylée de Burning Days.

A priori, Burning days, pour­rait être un polar comme les autres, celui d’un jeune idéa­liste rigou­reux qui va lutter contre toute une société, seul contre tous. Mais Emin Alper, dont c’est le cinquième film, va subti­le­ment brouiller les pistes avec un art consommé de la mise en scène. D’abord avec un sens inat­tendu des paysages qui rappelle celui de son compa­triote Nuri Bilge Ceylan.

Ensuite avec une direc­tion d’ac­teurs précise, presque théâ­trale, et des gueules de person­nages qui inter­pellent dès la première séance d’au­toch­tones aussi miel­leux que surpris lors de leur premier rendez-vous chez ce procu­reur intran­si­geant qui vient remettre en cause leur éco-système.

Drôle de rendez-vous dans le bureau du procu­reur…

Enfin et surtout en faisant exis­ter dans des scènes tendues sur une longue durée toute l’am­bi­guïté et les rapports de séduc­tion-répul­sion entre ces drôles de types qui cherchent à corrompre, et ce jeune homme bien sous tous rapports indis­cer­nable.

Jusqu’à culmi­ner dans la scène centrale d’un dîner bien arrosé qui revien­dra en flash­backs tout au long du film, en même temps qu’Emre cher­chera à se souve­nir… Car on l’ac­cuse de viol – sur une jeune fille, très jeune, qui dansait pour lui – et c’est la première grande idée du film : si Emre enquête sur toute une société rurale, il enquête aussi sur lui-même, en étant certain de rien…

Emre (Sela­hat­ti̇n Paşali), un procu­reur et son bain…

L’In­connu du lac en Anato­lie

D’au­tant qu’il a d’étranges habi­tudes, comme celle de se baigner dans un lac vaseux, à l’écart du village, comme pour rester à l’écart des autres… Et se faire surprendre par un jour­na­liste de l’op­po­si­tion, venu lui porter conseil (ou le mani­pu­ler…), débarquant en moto au milieu du désert devant un procu­reur en slip de bain, aussi beau que L’In­connu du lac d’Alain Guirau­die

Le jeune procu­reur (Sela­hat­ti̇n Paşali, la révé­la­tion du film), surpris en pleine ivres­se…

Ce qui n’était qu’un simple polar anti-corrup­tion vire alors au grand film de moeurs, car Emin Alper met en scène tout autre chose que le sujet initial du film : la corrup­tion du désir, singu­liè­re­ment homo­sexuel, entre deux person­nages céli­ba­taires à part de la société, se rappro­chant par les circons­tances sans trop savoir qui ils sont.

Dans la mise en scène d’Al­per, ils fini­ront par faire couple, litté­ra­le­ment, contre la foule qui les pour­chasse. C’est ce qui valut à ce film pas comme les autres à la fois sa sélec­tion à la Queer Palm au dernier festi­val de Cannes, et la censure du gouver­ne­ment turc, deman­dant le rembour­se­ment des aides du minis­tère de la Culture.

Burning days, polar homo-érotique en forme de chasse à l’homme

C’est toute la richesse de ce grand film qui réus­sit à travers l’in­trigue la plus simple d’évoquer aussi bien l’ho­mo­pho­bie et la mascu­li­nité rance de son pays, la pénu­rie d’eau qu’on trou­vait déjà dans L’En­nemi du peuple d’Ibsen – pièce qui l’a inspiré – la liberté de la presse et celle des moeurs.

Le tout à travers l’in­trigue la plus simple d’un lynchage orga­nisé en forme de chasse à l’homme, pamphlet contre l’ho­mo­pho­bie qui se termine par un plan stupé­fiant pour dénon­cer le gouffre de la bêtise qui sévit encore chez lui. Un des grands films de l’an­née.

Burning Days d’Emin Alper (Tur-Fr, 2h08) avec Sela­hat­ti̇n Paşali, Eli̇n Koç, Erol Babao­glu, Selin Yenin­ci… Sortie le 26 avril. Désor­mais dispo­nible sur Canal Plus ciné­mas.