Exclu­sif : les chiffres des dix premiers ciné­mas en fréquen­ta­tion à Lyon. Comme attendu, ils ne sont pas bons. Mais ce n’est pas forcé­ment une si mauvaise nouvelle que ça… voici pourquoi.

Mauvaise nouvelle : sur les 9 premiers mois de l’an­née, les ciné­mas lyon­nais perdent encore un peu plus d’en­trées que la moyenne natio­nale, même si ça reste dans les mêmes propor­tions (-31,7% contre –30%). Mais… avec des dispa­ri­tés encore plus fortes et dans un marché beau­coup plus équipé que la plupart des autres villes en France. Seul chiffre posi­tif, celui du tout nouvel UGC Ciné-Cité Part-Dieu (ouvert en septembre 2021), qui gagne néces­sai­re­ment des spec­ta­teurs par rapport à 2019, dernière année de réfé­rence avant Covid. Il se paie même le luxe dès sa première année d’ou­ver­ture d’al­ler chatouiller le leader histo­rique incon­testé du marché régio­nal, le Pathé Carré de Soie. Mais, car là aussi il y a un « mais », au prix d’un canni­ba­lisme dans sa propre maison de l’ordre du sacri­fice : ce sont les trois autres sites UGC qui paient le plus lourd tribut de la baisse de fréquen­ta­tion à Lyon, et de façon acca­blante : –43% pour l’Asto­ria – dernier cinéma de quar­tier lyon­nais du groupe -, –45% pour un Ciné-Cité Confluence qui se retrouve en pleine crise dix ans après son ouver­ture, alors qu’il aspi­rait au mini­mum au top 3 des salles lyon­naises ; et enfin coup de grâce, –51% pour l’UGC Ciné-Cité Inter­na­tio­nale (plus d’un spec­ta­teur sur deux !), clai­re­ment sur la sellette. Même si à la diffé­rence de Confluence et Part-Dieu, UGC en possède les murs, et peut donc en rester proprié­taire encore long­temps…

Quels films et quels ciné­mas s’en sortent le mieux ?

Les ciné­mas dits art et essai (Lumière et Comoe­dia) sont clai­re­ment ceux qui s’en sortent le mieux, dispo­sant d’une base de spec­ta­teurs fidèles et – atout non négli­geable en période d’in­fla­tion – des tarifs les moins chers (- 5 euros en prix façade hors abon­ne­ment). Même s’ils accusent une baisse réelle et marquée (respec­ti­ve­ment – 14,5% et –22%), a fortiori lorsque l’offre dite art et essai n’a jamais été aussi plétho­rique, et que leurs jauges restent souvent limi­tées (autour de 40 places pour la plupart des salles Lumière). L’offre de films, elle, reste en revanche para­doxale. Ce sont les films les des grands studios qui attirent toujours plus de spec­ta­teurs, mais ce sont juste­ment ces films d’in­dus­trie, parti­cu­liè­re­ment améri­cains, qui ont été le plus touchés par la crise Covid, et qui sortent donc de moins en moins… Le succès inso­lent de Top Gun Mave­rick avec 7 millions d’en­trées en France  – plus grand succès mondial de Tom Cruise de tous les temps – en est la preuve, tout comme les nombreux succès de films desti­nés aux jeunes, reve­nus en nombre dans les salles (Unchar­ted, Thor 4, Bullet Train, Les Minions 2, Juras­sic World 3, The Batman… tous multi­mil­lio­naires). Tout aussi notable, l’at­trac­tion des salles Premium qui ne se dément pas, alors qu’elles restent les plus chères du marché : le nouveau Top Gun a réalisé plus de la moitié de ses entrées au Méga CGR Brignais en “Ice” (leur format Premium), et la 4DX conti­nue de réjouir un public occa­sion­nel, comme pour la reprise d’Avatar, 13 ans d’âge et succès du mois de septem­bre… De ce point de vue, le débat sur l’offre concur­ren­tielle des plate­formes (dont on ignore la plupart du temps le nombre de spec­ta­teurs par film, gardons-nous des intox) semble donc être un faux débat. Tom Cruise, en misant sur la salle, a plié le match. Chapeau l’ar­tiste !

Vers une nouvelle ère de consom­ma­tion des films ?

Mais il existe aussi d’autres raisons de se réjouir : nombre de films tiennent de plus en plus remarqua­ble­ment dans la durée, y compris dans les grands circuits, à deux ou trois séances par jour. Ces succès au long cours montrent que le bouche à oreille et la curio­sité du public existent bel et bien, comme le montrent les bons scores de Deci­sion to leave, As Bestas ou plus encore La Nuit du 12. Encore à l’af­fiche à Lyon à la mi-octobre en étant sorti mi-juillet, le film de Domi­nik Moll aura terminé sa carrière à 500 000 entrées. A côté des gadins de films stéréo­ty­pés en tous genres (les bides de Dubosc et Kad Merad, ou l’énième film d’au­teur formaté de Binoche et Lindon se sépa­rant dans le dernier Claire Denis, avec amour mais sans achar­ne­ment…), tout se passe comme si le public se concen­trait sur une offre ciblée, qu’il prenait davan­tage le temps de choi­sir. En art et essai comme en pur diver­tis­se­ment, lorsqu’un film sait faire événe­ment (origi­na­lité du sujet ou singu­la­rité d’une expé­rience visuelle), il trouve pratique­ment toujours son public. Il se pour­rait donc qu’on entre dans une nouvelle ère de consom­ma­tion des films, plus ciblée, et c’est sans doute une bonne nouvelle.

Vers un nouveau parc de salles adapté ?

Reste à savoir si le parc de salles actuel, souvent dimen­sionné pour 12 salles et plus, y sera adap­té… Mani­fes­te­ment, non. C’est sans doute en partie ce qui explique la vente des ciné­mas du deuxième opéra­teur natio­nal de salles, CGR – ce qui n’est pas rien – et le fait qu’il n’est toujours pas trouvé d’ache­teur depuis avril dernier. C’est sans doute ce qui explique aussi l’in­ves­tis­se­ment de Pathé dans de nouveaux espaces au Carré de Soie, et la réno­va­tion  courant 2023 de son Pathé Belle­cour histo­rique qui fêtera ses… 90 ans ! Il a connu tous les cycles ciné­ma­to­gra­phiques, de la mode des petites salles en boîte à chaus­sures dans les années 80 à l’avè­ne­ment des multi­plexes en gradins, avant le passage en numé­rique Premium. L’adap­ta­tion, le chan­ge­ment dans la conti­nuité, les distri­bu­teurs comme les salles art et essai devront aussi le mettre en pratique : défendre des films plus ambi­tieux et plus origi­naux, au milieu du flot bouli­mique de produits par trop ressem­blants (étique­tés art et essai ou commer­ciaux), dont les spec­ta­teurs ne veulent mani­fes­te­ment plus, au moins pour un tiers d’entre eux… Peut-on vrai­ment consi­dé­rer qu’il s’agisse d’une mauvaise nouvelle ? A la fin des fins, c’est bien le public qui choi­sira –  même s’il est encore trop absent de nombre de discours profes­sion­nels – et c’est tant mieux.

Les entrées des ciné­mas à Lyon depuis le 1er janvier

Ciné­masEntrées payan­tes*En %
Pathé Carré de Soie (15 salles)488 637–41,3%
UGC Ciné-Cité Part-Dieu (18 salles)450 489+29,5%
Méga CGR Brignais (15 salles)403 938–33%
Pathé Vaise (14 salles)340 589–38,5%
Pathé Belle­cour (10 salles)331 951–31,5%
UGC Ciné Cité Confluence (14 salles)313 618–45,4%
Comoe­dia (9 salles)220 247–22,1%
UGC Ciné Cité Inter­na­tio­nale (14 salles)160 914–50,9%
Ciné­mas Lumière (10 salles)147 031–14,6%
UGC Asto­ria (5 salles)93 193–42,9%
Total Agglo­mé­ra­tion3 159 470–31,7%
* au 30/09/2022, évolu­tion en % à partir d’une moyenne 2017–1019

Projec­tion sur année glis­sante 2022

Pathé Carré de Soie716 648–36,7%
UGC Ciné Cité Part-Dieu623 672+30,1%
Méga CGR Brignais599 119–27%
Pathé Vaise511 631–33,6%
Pathé Belle­cour492 627–27,4%
UGC Ciné Cité Confluence455 029–43,3%
Comoe­dia321 451–18,5%
UGC Ciné Cité Inter­na­tio­nale250 407–44,7%
Ciné­mas Lumière210 299– 7,3%
UGC Asto­ria131 200– 41,9%
Total Agglo­mé­ra­tion4 620 930– 27,47%