[mis à jour]

On vous en disait le plus grand bien dès la rentrée en août dernier. Brigitte Giraud aura donc obtenu le prix Goncourt pour Vivre Vite, son onzième livre, reve­nant sur un deuil survenu vingt ans plus tôt avec la vita­lité de la fiction et de la musique. Critique.

Dans le roman À Présent, sorti il y a plus de vingt ans, Brigitte Giraud racon­tait déjà le décès de son compa­gnon dans un acci­dent de moto survenu en 1999. Elle s’em­pare à nouveau de cet événe­ment tragique avec Vivre vite. Dans ce récit mani­fes­te­ment auto­bio­gra­phique, elle tisse une enquête qui revient sur l’en­chaî­ne­ment de causa­li­tés qui ont provoqué ce drame… en plon­geant au plus près des racines de la culpa­bi­lité. Avec cette ques­tion subsi­diaire à toute entre­prise de récit : « Et si…  » : « Si j’avais eu un télé­phone portable », « Si Claude n’avait pas pris la moto de mon frère »… A travers ces inter­ro­ga­tions, ce n’est pas tant l’ac­ci­dent que l’au­trice ausculte, mais les circons­tances aléa­toires, multiples et infi­nies qui gravitent autour. Jusqu’aux tour­ments de la narra­trice, ces gouffres intimes qui parsèment le chemin du deuil.

Douce France revu et corrigé par Carte de Séjour en 1987, le groupe de Rachid Taha auquel Brigitte Giraud fait réfé­rence dans son livre.

Croi­ser Rachid Taha en enfance

Brigitte Giraud va même faire remon­ter le récit de l’ac­ci­dent jusqu’a­vant sa nais­sance. On voyage avec elle sur plusieurs décen­nies à travers un terri­toire fami­lier, mais en pleine évolu­tion : de l’en­fance dans la ZUP de Rilleux-la-Pape où l’au­trice croise Rachid Taha et les membres du groupe Carte de Séjour à la réno­va­tion d’un appar­te­ment croix-rous­sien et la gentri­fi­ca­tion du quar­tier à la fin du XXe siècle. On retrouve ici tout le talent d’une autrice dont la plume forme une pensée claire et tran­chante. Les sensa­tions traversent les multiples enchaî­ne­ments comme on imagine la douleur qui surgit au beau milieu de la nuit. Les mots ne font aucun détour malgré ces digres­sions qui retardent le dénoue­ment tragique. Les chapitres sont courts, ryth­més, économes. Brigitte Giraud embarque le lecteur avec elle avec une grande pudeur, sans tomber dans les dérives narcis­siques de l’au­to­fic­tion, mais pour livrer une émotion puis­sante et toujours conte­nue. Dans l’une des pages, la narra­trice fait cette confes­sion qui pour­rait bien résu­mer toute l’am­bi­tion du livre : « je traque du sens dans chaque détail ». Un rien devient un tout, dans lequel chaque lecteur pourra se retrou­ver. Fina­le­ment ce ne sont plus les causes de l’ac­ci­dent qui importent, mais l’in­fi­nité des récits qui ne sont jamais adve­nus.

Vivre Vite, de Brigitte Giraud (Flam­ma­rion, 20 €). Lire aussi notre entre­tien avec Brigitte Giraud, juste avant qu’elle n’ob­tienne son prix. Rencontre excep­tion­nelle avec Brigitte Giraud dans une récep­tion à l’Hô­tel de Ville orga­ni­sée par l’as­so­cia­tion Chez mon libraire, gratuite sur inscrip­tion, vendredi 16 décembre à 19h. Une dédi­cace aura aussi lieu la veille, jeudi 15 décembre à 19h à la librai­rie Le Rameau d’Or, Lyon 1er.