On a un instant l’im­pres­sion d’as­sis­ter à un film de beat­nik de l’Est avec caméra en stea­dy­cam qui suit ses person­nages en train de s’en­nuyer. On s’aperçoit qu’il s’agit d’une fausse piste lorsqu’ap­pa­raissent les grif­fon­nages eigh­ties sur l’image elle-même, comme une mini-comé­die musi­cale dessi­née. C’est la première bonne idée de Leto : inven­ter une narra­tion origi­nale par la musique. Après Le Disciple, son premier film, Sere­bren­ni­kov ose tout pour créer des formes avec la même liberté d’es­prit que ses person­nages : recréa­tion des musiques d’époque comme dans le Velvet Gold­mine de Todd Haynes, superbes séquences de musique filmée et irré­sis­tible comé­die musi­cale dans un bus avec The Passen­ger d’Iggy Pop chanté par des quidams… russes !

Car Leto ne se contente pas d’être impres­sion­niste, encore moins réaliste. Il met en scène une époque mécon­nue de la new wave russe – cet exotisme de l’Union sovié­tique lorgnant vers le rock occi­den­tal – en nous immer­geant dans toute son éner­gie, captant tout le senti­ment éphé­mère de cette bulle de rock écla­tée à l’Est, jusqu’à un magni­fique géné­rique de fin inscri­vant les dates des person­nages réels pour leur rendre hommage. Il termi­nera sur le minois sublime d’Irina Star­shen­baum, incar­nant la véri­table Nata­lya dont le film aura adapté les mémoires.

Pied de nez à la censure dans une scène de Leto.

En filmant les rêves de ses person­nages qui n’au­ront pas pu les vivre, le film rend grâce à une époque révo­lue, passant du noir et blanc à la couleur, d’un groupe à l’autre, de la recons­ti­tu­tion histo­rique à la soif d’ima­gi­naire, avec un pied de nez à la censure qui fait la marque d’un grand metteur en scène. D’au­tant que Kirill Sere­bren­ni­kov est actuel­le­ment toujours pour­chas­sée par la justice russe sous des prétextes falla­cieux… Mais par dessus tout, à travers l’amour à trois consenti de ceux qui restent des ados sans alcool aux paroles aussi bêtes que celles de Lou Reed, Leto est un hymne au bonheur d’ai­mer et à la simpli­cité de vivre, ravi­vant l’es­prit rock resté tapi sous le joug de l’em­pire sovié­tique. Une ode à l’amour ingénu de la musique comme à l’amour tout court qui capte le feu d’une géné­ra­tion oubliée. Bref, un des grands films russes de ces dernière années, léger et anti-confor­miste, à savou­rer en plein été au cœur du « Summer Camp » du Zola, la plus elle program­ma­tion ciné­phile des vacances. Rock’n­roll.

Leto de Kirill Serbren­ni­kov (2018, Rus, 2h06) avec Teo Yoo, Irina Star­shen­baum, Roman Bilyk… Samedi 1er août à 20h45 et dimanche 2 août à 18h au Zola à Villeur­banne. Toute la program­ma­tion du « Summer Camp » du Zola << ici >>.