S’il n’était pas incarné par Jean Roche­fort, ce riche indus­triel à la retraite qui perd la boule, installé sur les bords du lac d’An­necy, emmer­dant les morts pour de vieux règle­ments de compte de friqués, déran­geant ses voisins dans l’avion, reluquant la première fémi­nine qui passe, serait fran­che­ment insup­por­table. Avec Roche­fort, la cruauté se trans­forme en saillie comique, la jalou­sie devient une tendresse en état de manque et le moindre regard salace un grand moment de galan­te­rie. Il était un des rares acteurs français à garder une forme de folie et rester impré­vi­sible à chaque plan, même dans les situa­tions les plus banales.

Sandrine Kiber­lain et Jean Roche­fort en route sur les bords du lac d’An­necy.

Parmi les trois Grands ducs avec Marielle et Noiret, il est certai­ne­ment celui qui aura le mieux réussi la seconde partie de sa carrière au cinéma. Il trouve ici pour son dernier film un grand rôle à sa mesure, le plus beau depuis Tandem et Le Mari de la coif­feuse de Patrice Leconte (le premier vient de ressor­tir en Blu-Ray, le second est visible actuel­le­ment sur OCS). Ce n’est sans doute pas un hasard si c’est juste­ment un complice de Leconte, Jérôme Tonnerre, qui signe l’adap­ta­tion et les dialogues (aux petits oignons) de la pièce à succès de Florian Zeller. Au théâtre, c’est Robert Hirsch qui tenait le rôle. Ici, Philippe Le Guay mise tout sur le capi­tal sympa­thie de Jean Roche­fort. Jusqu’à lui emprun­ter ses costumes de dandy de la vraie vie. Il a bien raison : si le film est tout autant sur le déni du deuil d’un enfant que sur la mala­die d’Alz­hei­mer, il réus­sit à montrer assez subti­le­ment la dégé­né­res­cence de la mala­die en gardant un ton de comé­die.

Lost in trans­la­tion

Sandrine Kiber­lain et Jean Roche­fort, dandy avec ses propres costumes.

Insai­sis­sable, jamais tout à fait au premier degré et pour­tant d’une pres­tance de chaque instant, Roche­fort est l’ac­teur idoine pour le film, bascu­lant du verbe gour­mand qui lui défrise la mous­tache, à l’œil bleu vitreux qui trahit toute la détresse de son person­nage, en perdi­tion spatio-tempo­relle. Si le film se passe un temps en Floride, il n’a pas été tourné là-bas, mais en Rhône-Alpes, pour une raison qu’on vous lais­sera décou­vrir à la fin. À côté de ce monstre pater­nel irré­sis­tible, les femmes ne sont pas toujours les mieux loties, mais Sandrine Kiber­lain parvient à faire exis­ter les failles d’un person­nage de wonder woman assez stéréo­typé, tout comme Anna­ma­ria Marinca, décou­verte dans la Palme d’Or 4 mois, 3 semaines et 2 jours du roumain Cris­tian Mungiu, est épatante en aide fami­liale à qui on ne la fait pas. Abonné des sujets de société depuis Le Coût de la vie, Les Femmes du 6e étage ou Alceste à bicy­clette, Philippe Le Guay aime épicer son cinéma on ne peut plus acadé­mique par les plus grands des dandys. Après Luchini, son acteur fétiche, voici donc Jean Roche­fort pour une échap­pée belle, juste avant de mourir. Ça ne lui réus­sit pas si mal.

Bande annonce à la sortie du film en 2015.

Floride de Philippe Le Guay (2015, Fr, 1h50) avec Jean Roche­fort, Sandrine Kiber­lain, Philippe Duclos, Stépha­nie Bataille… Jeudi 18 mars à 21h05 sur France 3 et sur France.tv