La scène d’ou­ver­ture est à vous faire des noeuds à l’es­to­mac: un long plan-séquence qui voit bascu­ler la vie ordi­naire d’une mère dans l’hor­reur. Alors qu’elle est chez elle à Barce­lone, Elena reçoit un appel de son fils de 6 ans parti en vacances avec son père. L’en­fant est perdu sur une plage déserte en France. Un homme s’ap­proche de lui, le télé­phone coupe.

Ce plan-séquence saisis­sant est en fait un ancien court-métrage de Rodrigo Soro­goyen, pour lequel le cinéaste a reçu plusieurs prix. Hanté par ce scéna­rio et sans doute emballé par le succès, l’Es­pa­gnol a décidé de lui donner une suite avec Madre, mais en variant de ton. Après l’état-panique, voici dix ans plus tard avec un sens de l’el­lipse consommé l’in­ti­mité trouble auprès d’une jeune ado français… qui aurait pu être son fils.

Marta Nieto dans Madre de Rodrigo Soro­goyen.

Sous le sable

La rencontre entre cette mère au chagrin rentré mais incon­so­lable et cet ado mal dégrossi mais plein de curio­sité pour cette femme qui l’a suivi donne lieu à une rencontre aux dialogues savou­reux, trou­blé par cet état second entre deux âges atti­rés l’un par l’autre sans trop savoir pourquoi, sur fond de longues plages déser­tées par le deuil.

Le réali­sa­teur a tenu à s’éloi­gner de l’am­biance polar dans laquelle baignaient ses deux premiers films, Que Dios nos perdone et El Reino, pour mieux déjouer les attentes du spec­ta­teur. Le jeu entre nervo­sité et rete­nue de Marta Nieto distille à merveille se trouble d’une mère parange soudai­ne­ment revue comme une femme par un garçon de l’âge de son fils.

Alex Bren­demühl, le nouvel amant de Marta Nieto.

Lemon Incest

Rodrigo Soro­goyen joue magni­fique­ment de la spon­ta­néité juvé­nile de Jules Porier au milieu des corps des hommes, comme de sa confron­ta­tion avec les adultes (avec notam­ment Frédé­ric Pier­rot, le psy d’En Théra­pie, ici en pater­nel). Habité par le secret du deuil et un désir inter­dit, Madre nous laisse à l’aube d’une renais­sance, trou­blés par un amour impé­rieux, comme un beau portrait de femme qui renaît à la vie.

Madre de Rodrigo Soro­goyen (2020, Esp, 2h09) avec Marta Nieto, Jules Porier, Alex Bren­demühl, Anne Consi­gny, Frédé­ric Pier­rot… Actuel­le­ment en VOD et sur Canal +.