Ciné + programme ce qui est devenu un film rare : Le Milliar­daire, célèbre pour la rencontre à la ville comme à l’écran entre Mari­lyn Monroe et Yves Montand. L’oc­ca­sion de redé­cou­vrir cette comé­die volon­tai­re­ment crépus­cu­laire d’un maître de la musique et de l’amour, George Cukor.

Géné­rique espiègle en voix-off sur des gravures de France, Cukor la joue déli­bé­ré­ment old school avec cette comé­die de la matu­rité. Let’s make love (le titre origi­nal est tout un programme, surtout pour une œuvre tardive !), c’est l’an­ti­chambre de ses films de spec­tacle anté­rieurs : tout restera dans les coulisses de Broad­way, y compris les sublimes numé­ros de Mari­lyn sur Cole Porter : des scènes de répé­ti­tion, pour lesquelles le riche « milliar­daire » français va se retrou­ver engagé comme un saltim­banque, alors que c’est lui qui finance le spec­ta­cle… Ce Bernard Arnault avant l’heure, autant amateur de pein­ture que de spec­tacles, va au théâtre en Rolls, avant de tomber sous le charme (dans la vie comme dans le film, c’est l’ef­fet Cukor!), de celle dont le cœur « est à papah ! »… On découvre d’abord les jambes de Mari­lyn en pole dance. Les chan­sons de Cole Porter sont les plus belles du réper­toire de l’ac­trice (Me heart belongs to daddy), et le show se veut une revue sati­rique qui se moque de l’argent comme des célé­bri­tés.

Mari­lyn singing Cole Porter, My heart belongs to daddy.

Dans une célé­bra­tion du spec­tacle sous toutes ses formes comme l’a toujours fait Cukor, Montand se livre à un sketch d’au­to­dé­ri­sion impayable, avec en guest-stars Bing Crosby et Gene Kelly qui viennent aussi rire d’eux-mêmes… Répé­ter ensemble est l’oc­ca­sion d’être vrai hors des appa­rences sociales – un des grands thèmes du réali­sa­teur d’Une étoile est née – que ce soit pour le riche dans sa cage dorée ou la jeune chan­teuse en pleine éman­ci­pa­tion : « Vous rendez les gens pleins de doute  », lui dira Mari­lyn. Le retour à la réalité se fera sous le sceau de l’amour, mais Let’s Make love n’aura jamais montré que les coulisses de la créa­tion et l’émo­tion nais­sante d’un spec­tacle, comme lorsque Montand rêve les yeux fermés en l’écou­tant répé­ter sur scène ses « special lies ».

Yves Montand et Mari­lyn Monroe en pleine éléva­tion dans Let’s make love.

C’est du grand art, faisant un dernier clin d’oeil au screw­ball le temps d’un sketch aux chaus­sures écra­sées, mais Cukor, dans une palette de couleurs somp­tueuses toujours assez sombres dans les décors, ne cherche pas à cacher une forme de crépus­cule. Au contraire, autour des seules coulisses et répé­ti­tions, l’en­semble du film est construit comme une comé­die déstruc­tu­rée pour mieux lais­ser passer la gravité qui habite la rencontre entre Montand et Mari­lyn (avec des jeux de regard à la spon­ta­néité désar­mante comme a toujours su en produire Cukor direc­teur d’ac­teurs hors pair). Ce faux rythme explique sans doute l’ac­cueil assez froid fait au film, mais c’est préci­sé­ment ce qui en fait la singu­la­rité, en plus d’être le meilleur film musi­cal de Cukor, avec une musique de jazz et des scènes de danse splen­dides.

En apesan­teur, dans l’as­cen­seur.

Let’s make love, c’est l’au­tomne de la comé­die qui assume de vieillir sans perdre un gramme d’es­prit. Quand il l’em­mè­nera dans son buil­ding de milliar­daire, elle conti­nuera de le prendre pour un mégalo, en ne croyant toujours pas que c’est bien à lui. Il conti­nue de lui parler par voix-off – comme au spec­tacle – alors qu’elle est dans son ascen­seur pour s’en aller… Il finira par la rejoindre pour enton­ner Let’s make love alors qu’elle commence à se désha­biller. Cukor a plus que de beaux restes, il a la classe jusqu’au bout. La plus belle des comé­dies crépus­cu­laires, idéale pour dire adieu à la comé­die – roman­tique, burlesque, sociale ) – dont il fut l’un des maîtres, encore beau­coup trop sous-estimé.

La bande annonce origi­nale d’époque qui fait… « M-m-m-m-m-m-h ! »

Le Milliar­daire de George Cukor (Let’s make love, 1960, 1h59) avec Mari­lyn Monroe, Yves Montand, Tony Randall, Fran­kie Vaughan… Dispo­nible en replay sur Ciné + Clas­sic.