Une roman­cière améri­caine lauréate du prix Pulit­zer préfère aller le cher­cher en bateau, bien accom­pa­gnée par quelques amies et son neveu qui lui est dévoué, plutôt que de faire le trip en avion. L’oc­ca­sion d’un road trip au rythme de croi­sière dans lequel les masques vont avoir l’oc­ca­sion de tomber en allant grat­ter au fil des conver­sa­tions ce qui relève de la fiction et de la réalité, de la vanité et de la noto­riété, de l’ami­tié et des inté­rêts…

Impro­visé comme du jazz

Tourné en deux semaines avec une caméra minia­ture pour HBO-Warner (Soder­bergh a raccro­ché avec l’in­dus­trie ciné­ma­to­gra­phique propre­ment dite depuis son Libe­race avec Michael Douglas et Matt Damon en 2013, déjà produit par HBO), Let them all talk selon son titre origi­nal dit bien ce qu’il veut dire : “laisse-les parler”, ou comment navi­guer entre film choral collant au plus près de ses acteurs, et comé­die conver­sa­tion­nelle avec une pointe d’aci­dité.

Candice Bergen, une amie qui ne veut pas forcé­ment que du bien…
Rythme de croi­sière

Bulle de jazz impro­vi­sée en dilet­tan­tisme chic, Soder­bergh a laissé ses comé­diens s’im­mis­cer dans les dialogues, parfois spon­ta­nés, et trou­ver leurs poses devant sa petite caméra, inves­tis­sant les décors d’ori­gine et les figu­rants du véri­table Queen Mary 2. Un défi tech­nique relevé haut la main avec une classe certaine (le film est d’ailleurs dédié à son opéra­teur Gary Jay), aussi bien du côté de la distri­bu­tion que des paysages natu­rels de cette Grande traver­sée. De quoi passer du bon temps en bonne compa­gnie à un rythme de croi­sière, dans un premier temps ni fran­che­ment ennuyeux, ni fran­che­ment passion­nant, idéal pour combler une énième soirée de couvre-feu…

Meryl Streep incarne Alice, célèbre roman­cière en route vers le prix Pulit­zer.
Alice au pays des affres de la litté­ra­ture

Mais en plus de l’hom­mage du ciné­phile à Woody Allen (jazz omni­pré­sent, névroses à débattre et humour pour régler la bataille entre fiction et réalité à travers les joutes verbales), Soder­bergh béné­fi­cie du scéna­rio savam­ment construit de Debo­rah Eisen­berg (son compa­gnon Wallace Shawn a souvent tourné chez Woody Allen et Malick l’a remer­ciée au géné­rique de plusieurs de ses films). En Alice au pays des affres de la litté­ra­ture, Meryl Streep est parfaite d’égo­cen­trisme frisant la fatuité, incar­nant à merveille ce que peut être la quoti­dien d’un écri­vain.

Lucas Hedges, le neveu objet de toutes les convoi­tises de ces dames.
Switch final

Entiè­re­ment dévoué à sa tante, le neveu (Lucas Hedges), s’em­bel­lit au fur et à mesure du film et devient l’objet de toutes les convoi­tises de ces dames pour se surveiller les unes les autres et finira par avoir un rôle central lors de l’épi­logue, aussi émou­vant qu’é­ton­nant, que le film réserve, remet­tant dans une pers­pec­tive nouvelle tout ce que vous avez vu jusque-là. Une fois arri­vée en Angle­terre, la croi­sière devient alors une véri­table “traver­sée”, légi­ti­mant le titre français de cette cool comé­die intello qui nous console de la ferme­ture des salles, se termi­nant sur la douce voix de Meryl Streep chan­tant pour ses amis a capella. Yes !

https://www.youtube.com/watch?v=A0lvGSzU_wI

La Grande Traver­sée de Steven Soder­bergh (Let them all talk, 2020, EU, 1h48) avec Meryl Streep, Lucas Hedges, Dianne West, Candice Bergen, Gemma Chan… Dispo­nible exclu­si­ve­ment sur Canal + depuis le 20 avril.