C’est rare de voir un premier aussi ambi­tieux qui croise le polar, la chro­nique sociale et le roma­nesque à travers le retour de jeunes soldats. Vous l’aviez décou­vert sur scéna­rio ?

Niel Schnei­der : “Oui, et j’ai eu la même impres­sion que vous à la lecture, c’est très rare d’avoir ce mélange entre le polar qui pour­rait venir de l’Amé­rique des années 70 mais digéré, et des destins très concrets d’aujourd’­hui, quelque chose de très euro­péen, avec cette dimen­sion sociale et même intime qui me faisait penser au cinéma de Rossel­lini.

Votre jeu est aussi très réaliste pour inter­pré­ter ce soldat border­line à la fois violent et fragi­le…

Oui, le film est extrê­me­ment docu­menté, on s’était prépa­rés très en amont du tour­nage et Mathieu m’avait montré tout un tas de films sur de véri­tables soldats de retour d’Irak ou d’ailleurs. J’étais tout de suite frappé par ce côté shakes­pea­rien, ce sont des grin­ga­lets parfois pris dans la tragé­die. Comme Mathieu avait énor­mé­ment travaillé, je ne voulais surtout pas avoir l’air de jouer, je voulais vrai­ment être dans l’in­car­na­tion, y compris dans les érup­tions de violence. La dimen­sion roma­nesque du film exis­tait dans le scéna­rio, pour moi il s’agis­sait de rendre cet été second palpable, présent à chaque instant.

Niels Schnei­der et Sofian Khammes en pleine crise de violence.

Vous n’avez pas peur d’être vulné­rable autant que violent…

Ce sont les deux pôles qu’on essayait de tenir tout le temps. C’est un person­nage complexe, dans un déni post-trau­ma­tique qui reste tout le temps relié à ses bles­sures d’en­fance. Il a sa dureté exté­rieure mais aussi sa quête intime, c’était une façon de voir les consé­quences des atro­ci­tés de la guerre de l’in­té­rieur, tout en filmant de véri­tables scènes de casse ou de polar. J’ai beau­coup aimé rendre compte de cette violence larvée, une violence qu’il subit depuis qu’il est tout petit et qui le dépasse, en espé­rant enfin un retour à la vie normale.

Un plan de Senti­nelle Sud digne d’un polar améri­cain des années 70.

La scène de casse pour­rait faire penser à du Jacques Audiard mais c’est aussi un premier film déjà person­nel dans sa façon d’abor­der la folie ou le lien avec la natu­re…

Oui, j’avais vu le premier court-métrage de Mathieu, Hautes herbes, qui n’a abso­lu­ment rien à voir avec les thèmes de Senti­nelle Sud. Mais c’était déjà une ode à la nature, en noir et blanc, son hommage aux maîtres russes cette fois. Mathieu a grandi en Mayenne, et ce lien avec la nature est effec­ti­ve­ment quelque chose de profond chez lui. On retrouve aussi son esthé­tique dans les dialogues très écrits de Senti­nelle Sud. C’est pour ça que c’est une rencontre très impor­tante pour moi, comme avec Arthur Harari sur Diamant Noir. Là aussi, il y avait une forme d’évi­dence. C’était un tour­nage très préparé, très concen­tré. On n’avait abso­lu­ment pas besoin de se parler pour comprendre où on allait.

Comme c’est un premier film, vous pour­riez donc deve­nir un peu son De Niro dans ses prochains films, une forme d’ac­teur féti­che…

Si un rôle s’y prête, c’est tout le mal que je nous souhaite !”

Senti­nelle Sud de Mathieu Gérault (Fr, 1h36) avec Niels Schnei­der, Sofian Khammes, India Hair… Sortie le 27 avril.