Paci­fic­tion d’Al­bert Serra, c’est le film dont toute la critique parle, avec de grands moments de cinéma, mais aussi un peu d’en­nui, malgré la présence sauvage et énig­ma­tique et Benoît Magi­mel. A vous de voir…

On se croi­rait d’abord dans une comé­die sociale véné­neuse à la façon de The White Lotus : une poignée de person­nages huppés plus ou moins égarés sur une île – Tahiti en Poly­né­sie française – ne sachant plus trop où ils en sont. « Tout est flou dans Paci­fic­tion » prévient le réali­sa­teur Albert Serra. On ne sait pas qui est qui et tout se comprend sans être dit : l’ami­ral gay qui reluque un serveur en slip blanc « bien gaulé » au Para­dise par ailleurs peuplé de filles pulpeuses, le haut commis­saire repré­sen­tant de l’Etat qui chipe pour­tant le passe­port à ses clients, des gens dont on ne sait pas trop ce qu’il font là (Sergi Lopez, presque en figu­rant en direc­teur apathique de la boîte de nuit), et la rébel­lion larvée de la popu­la­tion locale qu’on perçoit à travers des visages magni­fique­ment filmés (Paoa Maha­ga­fano en Shan­nah, merveille de sensua­lité docile, tout en fémi­nité traves­tie). La sensua­lité est partout et le sexe reste pour­tant hors champ, c’est la plus belle partie du film : un vrai-faux thril­ler torpide et capi­teux, assez léger et caus­tique dans ses dialogues, envahi peu à peu par les paysages sublimes de l’île, jusqu’à une scène de surf en embar­ca­tions verti­gi­neuse, grand moment de cinéma fugace.

Benoît Magi­mel et Paoa Maha­ga­fano dans Paci­fic­tion.

Benoît Magi­mel en réin­car­na­tion moderne de Marlon Brando

Malheu­reu­se­ment Albert Serra a le numé­rique incon­ti­nent et pour avoir tourné 540 heures de rushes, va peu à peu déli­ter son film « dans les ténèbres » quand il s’agit de passer du côté obscur de la para­noïa, une fois posé le conflit poli­tique. Il dit n’avoir « aucune idéo­lo­gie ni vouloir aucun discours sur l’époque ». Paci­fic­tion se mue alors en film de dandy aux poses arty de plus en plus inter­mi­nables (virée nocturne, boîte, elec­tro statique, néons) , peu à peu dépourvu d’hu­mour et d’am­bi­guïté, les person­nages étant posés depuis long­temps… Reste in fine un départ vers la nuit très beau de l’ami­ral et ses mousses, et un Benoît Magi­mel gran­diose en réin­car­na­tion moderne de Marlon Brando (le récit est loin­tai­ne­ment inspiré du récit dans les îles de l’ex-femme de l’ac­teur), charis­ma­tique et insai­sis­sable, jusque dans l’im­pro­vi­sa­tion. Un film singu­lier mais inégal avec de grands moments de cinéma. C’est déjà beau­coup.

Paci­fic­tion, tour­ment sur les îles d’Al­bert Serra (Esp-Fr, 2h45) avec Benoît Magi­mel, Paoa Maha­ga­fano, Marc Susini, Matahi Pambrun, Montse Triola, Sergi Lopez… Sortie le 9 novembre.