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Bien sûr, il n’y a pas que Patrice Chéreau dans Les Aman­diers. Avec Noémie Lvovsky au scéna­rio – elle aussi de l’aven­ture à cette époque bénie et impro­bable du théâtre français – Vale­ria Bruni-Tedes­chi resti­tue à merveille la fougue de cette paren­thèse hors du temps, avec la passion, l’hys­té­rie parfois, l’in­ten­sité toujours de moment uniques, sans affé­te­rie ni posture. Elle resti­tue aussi la liberté sexuelle de la dernière marche avant le gouffre du Sida (extra­or­di­naire séquence du test néga­tif que trois copines finissent par obte­nir), ou la soli­tude de celle et ceux qui ont vécu à l’ombre de ce théâtre impro­bable de la banlieue pari­sienne : l’ac­trice écon­duite qui finira par deve­nir serveuse pour voir les autres jouer ou la figure de Pierre Romans (merveilleux Micha Lescot), souffre-douleur “velléi­taire” et co-direc­teur de cette drôle d’école française “sans profes­seur” qui allait marquer le théâtre hexa­go­nal comme l’Ac­tors Studio de l’autre côté de l’At­lan­tique, qu’on voit passer le temps de quelques plans volés à New York, comme un mira­ge…

La scène des Aman­diers recons­ti­tuée par Vale­ria Bruni-Tedes­chi dans son film.

Baiser volé

Les Aman­diers est un film d’une troupe qui ne se connait pas encore dont Vale­rie Bruni-Tedes­chi parvient – malgré une fin inuti­le­ment mélo­dra­ma­tique – à resti­tuer l’élan. Mais la figure tuté­laire, c’est lui. Magné­tique sans le moindre mimé­tisme, Louis Garrel campe un Chéreau en bour­reau de travail insai­sis­sable, secrè­te­ment angoissé, super­fi­ciel et capri­cieux. Sans la moindre défé­rence, Vale­ria Bruni-Tedes­chi en montre toutes les limites, humaines, en en saisis­sant l’es­sen­tiel : cette capa­cité à confondre le jeu avec une néces­sité plus profonde que la vie, un génie animal sur la scène qui se payait en coulisses d’ex­tor­sions multiples (le baiser volé). Nombre de jeunes illu­mi­nés comme celui qui tombe sur “Patrice” en simple opéra­teur du théâtre s’y sont brûlé les ailes. D’autres, plus forts, comme Vale­ria Bruni-Tedes­chi, lui auront survécu pour deve­nir une autre. Dans sa longue auto­bio­gra­phie de réali­sa­trice en forme de tragi-comé­die italienne, Les Aman­diers est certai­ne­ment son plus beau film.


Les Aman­diers de Vale­ria Bruni-Tedes­chi (Fr, 2h06) avec Louis Garrel, Nadia Teresz­kie­wicz, Sofiane Benna­cer, Micha Lescot… Sortie le 16 novembre.

Impor­tant : l’ac­teur Sofiane Benna­cer, initia­le­ment sélec­tionné par l’Aca­dé­mie des Césars comme « meilleure révé­la­tion mascu­line »talent émergent« , a été retiré de la liste suite à sa mis en examen pour « viols et violences ».

Louis Garrel incar­nant Patrice Chéreau en pleine direc­tion d’ac­teurs.