On se deman­dait bien pourquoi – alors qu’il est produit par Brad Pitt et en orbite pour les OscarsShe Said de Maria Schra­der a fait un tel bide aux Etats-Unis, et désor­mais en France (à peine 80 000 entrées en deux semaines). Alors même que le film est porté par la néces­sité de son sujet : la recons­ti­tu­tion des origines du mouve­ment #MeToo à l’orée de l’élec­tion de Donald Trump (sur laquelle s’ouvre She Said), et surtout de la révé­la­tion de l’af­faire Harvey Wein­stein.

A travers le parcours de combat­tantes de deux jeunes jour­na­listes du New York Times incar­nées à l’écran par Carey Mulli­gan et Zoe Kazan (toutes les deux extra­or­di­naires). Rendons à Cléo­pâtre ce qui appar­tient à Cléo­pâtre : très bien produit en plus d’être très bien inter­prété, il y a un souci de préci­sion docu­men­taire et un éloge du travail de la presse (on est bien en Amérique) qui ne peuvent que forcer l’ad­mi­ra­tion (avec en prime Ashley Judd dans son propre rôle, même si Gwyneth Paltrow, obsé­dant l’an­cien patron de Mira­max, reste hors champ).

Porte-à-porte plutôt qu’enquête

Si même le public améri­cain n’a pas voulu d’un tel sujet en or c’est donc bien pour une autre raison : celle d’une mise en scène asep­ti­sée, confor­miste, imper­son­nelle, singeant au plan prêt certaines séquences des Hommes du Président d’Alan J. Pakula , le clas­sique du genre avec Robert Redford et Dustin Hoff­man, à partir du Water Gate (du travel­ling dans la rédac­tion aux plans de rue avec les deux jour­na­listes).

Ce ne serait pas très grave si le film n’en perdait pas autant en effi­ca­cité et en émotion, à l’ex­cep­tion d’une ou deux scènes finales portées par les actrices (Jenni­fer Ehle est aussi très bien en sosie de Meryl Streep). Car ce n’est pas tant une enquête que nous propose Maria Schra­der que du porte-à-porte d’un témoin à l’autre. En faisant trois fois le tour des bureaux et de la café­té­ria du New York Times (superbe, avec vue sur les gratte-ciels new-yorkais), ou en suivant en caméra portée ses héroïnes comme la plus vulgaire des séries Netflix.

Bureaux asep­ti­sés, couloirs et chambres vides

L’ali­gne­ment uniforme d’ap­par­te­ments et de bureaux asep­ti­sés sur une musique métal­lique qui tourne en boucle sur une seule note finit par confi­ner à l’en­nui, d’au­tant que Schra­der (Maria) filme couloirs et chambres vides (et même un peignoir déposé sur un lit pour figu­rer Wein­stein), cafés et trains, toujours de la même façon, démon­trant son absence totale de point de vue. En osant filmer le monstre de Fox News, Scan­dale de Jay Roach en disait fina­le­ment beau­coup plus sur l’em­prise et les agres­sions sexuelles par la fiction. Ici, la minute d’ar­chive sonore (réelle) de Wein­stein en train de rete­nir une femme dans une chambre en dit plus que les 2h10 qui l’en­toure. C’est tout le problème.

She said de Maria Schra­der (EU, 2h07) avec Zoe Kazan, Carey Mulli­gan, Patri­cia Clark­son, Ashley Judd, Saman­tha Morton… Sorti le 23 novembre. Désor­mais visible sur Canal.

Le bureau de la rédaction du New York Times au grand complet  dans She Said.