Tout commence par une archive joyeu­se­ment ryth­mée au son des Rita Mitsouko (« On n’a pas que d’l’a­mour »). Celle d’une jeunesse étudiante vent debout contre la loi Devaquet, modi­fiant profon­dé­ment l’éga­lité d’ac­cès à l’uni­ver­sité. La jeunesse de « deux fran­gins », Abdel et Malik, réunis dans la chan­son de Renaud qui donne son titre au film. Tout du long, Rachid Boucha­reb va lais­ser entre­mê­lées les histoires de ces deux jeunes hommes – issus de l’im­mi­gra­tion selon la formule consa­crée. L’une célèbre et pour­tant assez mécon­nue, celle de Malik Ousse­kine, l’autre presque oubliée et pour­tant tout aussi funeste, celle d’Abdel Benya­hia.

Inscri­vant son film dans dans le temps mort qui suit les évène­ments de la nuit du 5 au 6 décembre 1986, Boucha­reb construit un équi­libre salu­taire entre le deuil et la vérité recher­chée par les familles (utili­sant une caméra des années 80). On voit resur­gir la société de l’époque dans un flot d’ar­chives inin­ter­rom­pues qui rappellent les faits et les moeurs d’alors.

Pour le pire (Charles Pasqua, Chirac déjà guignol de la poli­tique et surtout l’or­du­rier ministre Robert Pandraud, qui nous rappelle ce qu’é­tait la droite raciste), et pour le meilleur : les mots de concorde natio­nale qu’on entend dans la bouche de Pierre Mauroy ou François Mitter­rand, des mots qu’on n’en­tend plus aujourd’­hui).

Samir Guesmi les yeux étonnés de nuit dans Nos frangins.
Samir Guesmi, père incré­dule dans Nos fran­gins de Rachid Boucha­reb.

Reda Kateb, toujours le grand acteur de sa géné­ra­tion

Mais s’il dénonce l’évi­dence – c’est-à-dire le racisme et les violences poli­cières qui ont tué Malik et Abdel – contrai­re­ment à certains de ses derniers films comme Hors la loi, il se garde bien de toute géné­ra­li­sa­tion comme de tout discours déma­go­gique. Au contraire, il utilise la forme chorale d’une gale­rie de person­nages (Reda Kateb, toujours le grand acteur de sa géné­ra­tion aussi bien dans la colère que dans l’in­té­rio­rité) pour montrer tous les visages de l’im­mi­gra­tion de la France d’alors, de l’illu­sion répu­bli­caine d’un père incré­dule (Samir Guesmi et ses yeux de chouette) à la prise de conscience du cirque poli­tico-média­tique de la part de lé géné­ra­tion suivante (Lais Sala­meh).

Jusqu’aux portraits on ne peut plus déli­cats et complexes des victimes : l’un qui dit « avoir changé » et « aimer discu­ter avec les autres gens » dans une archive à l’in­sou­ciance boule­ver­sante, l’autre dont la conver­sion prochaine au catho­li­cisme pour deve­nir prêtre restera une énigme entre chemin de foi et volonté d’in­té­gra­tion.

Dans ce qu’on pour­rait inter­pré­ter comme une volonté de récon­ci­lia­tion, Boucha­reb n’ou­blie jamais les mille-et-une nuances d’une France métis­sée (du compa­gnon flic de Lyna Khou­dri à Wabinlé Nabié, le griot de l’ins­ti­tut médico-légal). L’injus­tice n’en est que plus criante, le gâchis et la honte poli­tiques après un tel « malheur » pour reprendre le mot de Mitter­rand, encore plus insignes. Surtout lorsqu’il est précisé au géné­rique de fin que les poli­ciers meur­triers d’Ab­del et Malik n’ont pas fait un seul jour de prison.

Nos fran­gins de Rachid Boucha­reb (Fr, 1h32) avec Reda Kateb, Lyna Khou­dri, Samir Guesmi, Raphaël Person­naz, Gerard Watkins, Lais Sala­meh, Wabinlé Nabié… Sortie le 7 décembre. Désor­mais sur Canal Plus.

Les motos des policiers voltigeurs de nuits phares dans Nos Frangins.