Ce n’est pas qu’on l’avait perdue de vue : hyper­ac­tive, Isabelle Huppert sort à peu près un film par mois… Mais voilà déjà quelque temps (et c’est bien normal) qu’elle n’avait pas trouvé un rôle aussi fort que celui de Maureen Kear­ney dans La Syndi­ca­liste.

L’his­toire vraie d’un polar mené de main de maître par Jean-Paul Salomé, dans lequel on croise succes­si­ve­ment les pouvoirs écono­mique (Areva et le nucléaire), poli­tique (Monte­bourg et François Hollande, préci­sé­ment le jour par lequel débute le film), et des pres­sions et inti­mi­da­tions abjectes ourdies par les complots des lobbies indus­triels.

Le tout sans le moindre discours plaqué ou mora­li­sa­teur mais à travers un thril­ler poli­tique (puis psycho­lo­gique) ambi­tieux, crédible, constam­ment prenant… jusqu’à la dernière plai­doie­rie en appel du grand Gilles Cohen incar­nant maître Hervé Témime (de Sarko à Hollande en passant par Anne Lauver­geon, l’an­cienne patronne d’Areva, tous les noms réels ont été conser­vés, rendant le film encore plus passion­nant).

L’im­pu­nité du pouvoir mascu­lin

Car si Jean-Paul Salomé filme avant tout l’éten­due de l’im­pu­nité du pouvoir mascu­lin (pléo­nasme), de la police au milieu des affaires, il le fait avec un sens du récit hale­tant, somp­tueu­se­ment scéna­risé et incarné jusque dans ses seconds rôles. Pour l’anec­dote, c’est Chris­tophe Paou, le beau gosse viril de L’In­connu du lac d’Alain Guirau­die, qui incarne Arnaud Monte­bourg, et Grégory Gade­bois est impec­cable pour donner la réplique à la grande Isabelle, mari de vingt ans oscil­lant entre le soutien et l’in­dé­ci­sion…

Cons­tam­ment lisible et prenant, ce vrai thril­ler parvient à nous faire douter de tout et de tout le monde (Marina Foïs, splen­dide d’am­bi­guïté en Anne Lauver­geon). On découvre les arcanes du pouvoir, ce que veut dire la pres­sion d’une garde à vue pour trans­for­mer une victime en coupable imagi­naire ou la réalité des rapports de pouvoir en entre­pri­se… avec une autre inten­sité que dans les films par trop bali­sés socia­le­ment d’un certain cinéma français. Alors même que La Syndi­ca­liste reste un véri­table pamphlet poli­tique, faisant un sort aux contrats chinois d’EDF et de la filière nucléaire au géné­rique de fin.

Isabelle Huppert blonde et lunettes noires chandail violet dans La Syndicaliste.
Photos : Guy Ferran­dis / Le Bureau films.

Maureen Kear­ney, un grand rôle pour Isabelle Huppert

Avec en prime Isabelle Huppert dans un de ses plus grands rôles, quelque part entre la revanche sociale de La Céré­mo­nie, les coulisses veni­meuses de L’Ivresse du pouvoir du même Chabrol, et l’in­tel­li­gence critique du milieu poli­tique dans un beau film comme Les Promesses. Quelle filmo sur la France contem­po­raine !

Portrait d’une femme « combat­tante mais fragile« , miroir des rapports de force et des abus de la société dans laquelle elle évolue, Maureen Kear­ney appar­tient d’ores et déjà à un de ses grands rôles. De sa façon de ne pas s’en lais­ser comp­ter dans les bureaux de ces messieurs aux larmes impuis­santes qu’elle verse quand la machine judi­ciaire se retourne contre elle en plein procès, sèche, volon­taire, intel­li­gente, insai­sis­sable, faillible elle est impres­sion­nante de bout en bout, jusqu’au regard qu’elle vous lâchera après son dernier plai­doyer.

Filmé sans le moindre temps mort comme du vrai cinéma popu­laire pour tous aux images splen­dides (y compris sur les bords d’Annecy), La Syndi­ca­liste lui permet­tra sans doute de renouer avec le grand public. C’est tout le mal qu’on lui souhaite. Le premier grand film français de la rentrée à ne pas rater.

La Syndi­ca­liste de Jean-Paul Salomé (Fr, 2h02) avec Isabelle Huppert, Grégory Gade­bois, Yvan Attal, Pierre Dela­don­champs, Marina Foïs, François Xavier Demai­son, Gilles Cohen… Sortie le 1er mars. Désor­mais dispo­nible sur Canal.

Isabelle Huppert blonde et lunettes dossier sous le bras chandail marron.