Diffi­cile de rêver meilleure adap­ta­tion de l’uni­vers de Sylvain Tesson que ce beau film de Denis Imbert, incon­di­tion­nel de l’écri­vain depuis toujours. S’il a choisi Sur les chemins noirs, le récit des « bien­faits de la chute » de l’écri­vain trop aviné tombant de huit mètres d’une façade un soir à Chamo­nix, c’est non seule­ment pour filmer la marche et la recons­truc­tion de ce corps obstiné bien que cabossé. Mais aussi, à travers « la diago­nale du vide« , du Cantal au Mont Saint-Michel, appro­cher les démons intimes d’un écri­vain aussi ouvert et atten­tif à la nature qu’o­paque dans sa rela­tion aux autres.

Fidèle donc, Sur les chemins noirs est à la fois le récit d’un homme en mouve­ment au milieu d’un monde plus grand que lui (Denis Imbert a repéré et cadré lui-même l’en­semble du périple qu’a­vait réalisé Sylvain Tesson). Et celui d’un homme en fuite face « à la farce du progrès« , « l’er­reur du déve­lop­pe­ment » et la « multi­pli­ca­tion inutile des progé­ni­tures« , n’élu­dant rien de la luci­dité misan­thrope (rayer la mention inutile) du person­nage.

Jean Dujar­din, le plus grand acteur français

Pour incar­ner un tel rôle, aussi bien dans l’ef­fort et le rapport à la nature devant la caméra, que le poète des mots en voix-off, il fallait le plus grand acteur français, Jean Dujar­din, aussi bien capable de se mettre à sang et à nu dans un rapport de fragi­lité à son envi­ron­ne­ment, que de mettre en bouche sans lour­deur un texte aussi péremp­toire sur le monde moderne.

Jean Dujar­din et Dylan Robert.

C’est toute la beauté, rugueuse, de ces « chemins de traverse pour échap­per à l’époque », que de rester à l’ins­tar de leur auteur, aussi géné­reux avec l’es­pace, recroque­villés sur un être à part qui croisent quelques jolis figures de passage (un paysan dans son propre, ou la magni­fique Dylan Robert, César du meilleur espoir mascu­line pour Shéhé­ra­zade en 2019).

Sur les chemins noirs laisse l’énigme de Trompe-la-mort de Sylvain Tesson intacte, même quand il sourit à sa soeur qui a eu peur pour lui : « Je ne mour­rais pas. Jamais? Je suis contre ! » Un véri­table écri­vain, qui n’a jamais vrai­ment sa place parmi les autres, en famille ou en amour, et préfère d’abord exis­ter pour la posté­rité, en « fuyant » le présent avec achar­ne­ment, dans les grands espaces, et les inter­stices inex­plo­rés.

Sur les chemins noirs de Denis Imbert (Fr, 1h35) avec Jean Dujar­din, José­phine Japy, Izia Hige­lin, Dylan Robert, Jona­than Zaccaï, Annie Dupé­rey… Sortie le 22 mars. Désor­mais dispo­nible sur OCS.

Denis Imbert, Sylvain Tesson et Jean Dujardin souriant sur le tournage de Sur les chamins noirs.
Denis Imbert, Sylvain Tesson et Jean Dujar­din sur le tour­nage.