« Vous savez comment ça s’ap­pelle ? » deman­dera avec évidence l’avo­cate que va venir consul­ter Blanche, après ce que son pervers narcis­sique de mari lui aura fait subir. Ce sera au spec­ta­teur, avec la même évidence, d’ima­gi­ner la réponse à la ques­tion que pose L’Amour et les forêts, et jusqu’où peut conduire la méca­nique impla­cable de ce polar sous emprise, étrange, obses­sion­nel et fou, se dérou­lant en flash­back sur plusieurs années, mais où chaque scène garde le feu des instants subis.

Melvil Poupaud, le diable sans confes­sion.

Car il s’agit bien d’une histoire d’amour, avec un Melvil Poupaud gran­diose hési­tant dès le départ entre le sourire du séduc­teur craquant et du carnas­sier mani­pu­la­teur. Ses atten­tions sous prétexte d’ex­clu­sive senti­men­tale glissent peu à peu vers la forme la plus perverse de la posses­sion, jusqu’à chosi­fier celle qui ne doit exis­ter qu’a­vec et pour lui.

C’est la première grande réus­site de Valé­rie Donzelli chan­geant de registre pour le thril­ler senti­men­tal : avoir bâti avec Audrey Diwan un scéna­rio-puzzle plus concen­tré et travaillé que dans ses précé­dents films, pour adap­ter le roman d’Eric Rein­hardt au titre éponyme (Bertrand Belin en invité surprise au beau milieu du film lui ressem­blant d’ailleurs étran­ge­ment).

Bertrand Belin (de dos), l’in­vité surprise de la forêt…

Un amour impos­sible

La deuxième, c’est le charisme malsain et effrayant avec lequel Melvil Poupaud va prendre l’as­cen­dant sur sa proie, démon­trant dans une sorte de figure inver­sée de son rôle de victime dans Grâce à Dieu de François Ozon, le grand acteur du cinéma français qu’il est devenu. Depuis la fantai­sie de Petite Fleur ou de la série Ovni sur Canal jusqu’à ses person­nages d’amants bien­veillants aux côtés de Léa Seydoux ou Fanny Ardant. Ici, il est tout simple­ment glaçant de narcis­sisme névro­tique devant une Virgi­nie Efira toujours aussi crédible en beauté vulné­rable, amou­reuse lucide qui mettra long­temps à mettre à distance sa culpa­bi­lité. « Arrê­tez de vous justi­fier » lui dira la même avocate-psy (magné­tique Domi­nique Reymond).

L’Amour et les forêts, la guerre est décla­rée

Mais si L’Amour et les forêts est une si belle réus­site, c’est aussi parce qu’il est un vrai film de metteuse en scène, s’au­to­ri­sant une musique ensor­ce­lante de Gabriel Yared pour mieux ancrer la rencontre le temps d’une danse, une chan­son de Barbara Du bout des lèvres pour garder un rapport érotique jusque dans la mani­pu­la­tion. Avec en prime quelques échap­pées surréa­listes jusqu’au dédou­ble­ment de son héroïne (pas toujours heureux) en soeur jumelle (Efira est vrai­ment partout !), ou un instant de comé­die musi­cale irréel pour chan­ter l’amour qui vient.

Un laby­rinthe des passions d’au­tant plus choquant et trou­blant qu’il se construit dans le temps, et ne se contente pas du seul réalisme linéaire, s’ar­rê­tant au seuil d’une violence conju­gale dont on perçoit tous les enjeux. Après Anato­mie d’une chute, Palme d’Or elle aussi sur les liens entre intimé, justice et effrac­tion, l’autre film impor­tant de Cannes, même s’il n’était sélec­tionné que dans la section « Cannes Première ». Impres­sion­nant.

L’Amour et les forêts de Valé­rie Donzelli (Fr, 1h45) avec Virgi­nie Efira, Melvil Poupaud, Domi­nique Reymond, Bertrand Belin, Romane Bohrin­ger, Virgi­nie Ledoyen… Désor­mais dispo­nible sur Canal Plus.