C’est le plus verveux et le plus coquin des compo­si­teurs clas­siques. L’Opéra de Lyon avait la bonne idée de confier à Laurent Pelly, le roi de la comé­die lyrique, une nouvelle produc­tion d’un des plus joyeux joyaux de Rossini : Le Comte Ory, en français dans le texte. Liber­ti­nage et confu­sion des sexes à tous les étages, montée de sève perma­nente du côté de l’or­chestre, ce conte érotique n’avait pas manqué de défrayer la chro­nique de l’époque. Un critique nommé Paul Hume allait même jusqu’à le résu­mer carré­ment à « une érec­tion de deux heures et quart  » ! L’ar­gu­ment fait douce­ment rigo­ler aujourd’­hui, mais explique en partie pourquoi ce pur joyau du bel canto est resté si long­temps un opéra méconnu. Il est pour­tant loin de consti­tuer un fond de tiroir, sommet d’es­piè­gle­rie et de feu d’ar­ti­fice vocal à situer parmi les tout meilleurs opéras de son auteur.

Rossini, l’in­ven­teur du rap !

Pourquoi ? D’abord parce que Le Comte Ory consti­tue une excep­tion. Il est sans doute le seul opéra à être chanté en français dans la plus pure tradi­tion du bel canto. À l’époque, en 1828, Rossini travaille pour le Théâtre italien… à Paris. Figure dans son contrat l’obli­ga­tion de travailler avec des chan­teurs bien de chez nous. Du coup, il pioche goulû­ment des airs de son dernier opéra italien, Il Viag­gio à Reims, pour l’adap­ter à la langue française des libret­tistes, et comme d’ha­bi­tude, fait son adap­ta­tion person­nelle. Résul­tat : la verve italienne est intacte, et personne n’a jamais aussi bien fait swin­guer la langue de Molière. Il faut entendre les grands duos érotiques à toute blinde pour se souve­nir que Rossini est aussi l’in­ven­teur du rap, avec ses fameuses séries d’ono­ma­to­pées débi­tées sur un orchestre en plein orgasme ryth­mique. Vous n’au­rez jamais entendu des chan­teurs chan­tés aussi vite, ni aussi haut, l’ex­ci­ta­tion du Comte Ory et l’au­to­rité de la Comtesse tant convoi­tée riva­li­sant de voca­lises dans un finale du premier acte étour­dis­sant.

« C’est char­mant, c’est divin »

Comé­die liber­tine, l’opéra se joue des codes de la bien­séance mais crée aussi des formes nouvelles. S’il consti­tue véri­ta­ble­ment une œuvre à part, c’est parce qu’en dépit d’un sujet léger , il ne corres­pond ni au genre de l’opéra comique à la française (pas de dialogues parlés entre les numé­ros), ni à l’opera buffa à l’ita­lienne à la façon du Barbier de Séville (pas de réci­ta­tif secco). En somme, c’est un opera seria léger, une comé­die sérieuse comme les affec­tion­nait Rossini. Et c’est bien comme ça que Pelly a eu l’in­tel­li­gence de le monter : tout en restant très drôle, il prend très au sérieux le traves­tis­se­ment de l’en­semble des choeurs mascu­lins en bonnes sœurs pour partir à l’as­saut du château de la belle que ce gourou de Comte Ory veut aller chas­ser, en profi­tant de la guerre pour être sûr de tomber sur une proie esseu­lée… Phal­lo­cra­tie, abus de pouvoir, pater­na­lisme et même satire de la manif pour tous, Pelly s’en donne à coeur-joie, avec toujours des costumes savou­reux qu’il réalise lui-même, et les décors chaleu­reux de sa grande complice, Chan­tal Thomas. Un pur bonheur de diver­tis­se­ment pour les oreilles et pour les yeux, idéal à savou­rer en week-end. L.H.

Le Comte Ory de Rossini. Mise en scène de Laurent Pelly avec l’or­chestre et les choeurs de l’Opéra de Lyon diri­gés par Stefano Monta­nari. Visible gratui­te­ment et en inté­gra­lité sur le site de l’Opéra de Lyon << ici >>.