C’était notre article coup de coeur de la rentrée en septembre dernier. Peintre et sculpteur transgenre, Edi Dubien place les questions d’identité au coeur de ces délicats portraits d’adolescents. Malheureusement, son exposition ne pourra pas rouvrir. Nous publions donc en dernier adieu l'entretien qu'il nous avait accordé. Et si la thématique autobiographique n’est jamais loin, ses oeuvres parlent aussi de violences et de nature. Rencontre avec notre artiste coup de coeur de la rentrée. 

Vous deviez initia­le­ment être exposé à L’Oran­ge­rie, au parc de la Tête d’Or, en mai dernier mais l’ex­po­si­tion a dû être annu­lée à cause du confi­ne­ment. Vous vous retrou­vez fina­le­ment sur tout un étage du Mac. C’est une bonne nouvelle pour vous… 

Edi Dubien: “ C’est la première fois surtout qu’un artiste trans­genre est exposé dans un musée. J’es­père que c’est une date qui marquera l’his­toire. En tout cas, j’en suis très fier. 

Vous vous présen­tez comme un artiste auto­di­dacte. Comment êtes-vous arrivé au dessin?

Ado, je me rêvais photo­graphe mais mes parents m’ont inter­dit de suivre des études d’arts. Comme j’avais des rela­tions diffi­ciles avec eux, je suis parti très tôt de la maison. J’ai débuté avec la photo et la sculp­ture. Je me souviens de ma première sculp­ture, je l’ai faite dans mon appar­te­ment qui me servait aussi d’ate­lier, même le canapé y est passé pour faire tenir la struc­ture. J’ha­bi­tais à côté de l’ate­lier d’Anne et Patrick Poirier qui m’ont repéré et aidé. Le dessin est venu il y a seule­ment quatre ans, au moment où j’ai obtenu ma nouvelle carte d’iden­tité qui actait mon iden­tité mascu­line. Je me suis alors auto­risé à prendre du temps pour moi. Le dessin est le médium idéal pour cela, il me permet de parler de moi inti­me­ment. Dès le début, j’ai réalisé des auto­por­traits et j’ai travaillé autour de la nature. 

« Mon travail est une décla­ra­tion d’amour à la nature »

(Edi Dubien)

La nature est toujours très présente, que ce soit dans vos dessins ou vos sculp­tures. Quelle est son rôle auprès des enfants que vous dessi­nez?

Je suis né à Paris mais j’al­lais en vacances chez mes grands-parents, qui étaient instal­lés en Auvergne, au pied du puy de Dôme. J’ai beau­coup de souve­nirs de balades avec eux, j’ai un lien très affec­tif avec la nature. Dans mes dessins, elle permet aux enfants de dépas­ser leur genre assi­gné par la société, de se retrou­ver loin des diktats. Mon travail est aussi une décla­ra­tion d’amour à la nature. Tout combat doit passer par la nature, par la protec­tion du vivant comme celle des gosses aban­don­nés, maltrai­tés, livrés à eux-mêmes. “L’homme aux mille natures” est une expo­si­tion intime, liée à l’iden­tité trans­genre mais pas seule­ment. Il s’agit aussi de défendre les mino­ri­tés au sens large du terme, comme les animaux et les enfants. C’est une expo­si­tion contre la violence.

« Être enfin pour toujours » d’Edi Dubien (2020)

« J’ai un lien très affec­tif avec la nature. Dans mes dessins, elle permet aux enfants de dépas­ser leur genre assi­gné par la société, de se retrou­ver loin des diktats. » (Edi Dubien)

Les garçons que vous repré­sen­tez sont alors autant des enfants en quête de leur iden­tité que maltrai­tés par la société?

Je peins à partir de photos d’en­fants des années 1940. Ce sont des gamins qui ont connu la guerre, qui ont souf­fert et ont été maltrai­tés durant cette période. C’est pour cela qu’ils dégagent une certaine mélan­co­lie. J’y vois un lien avec mes grands-parents exilés d’Es­pagne ou ma mère née pendant la guerre. Peindre ces enfants est une façon de les répa­rer. 

« Enfant soldat » d’Edi Dubien (2019)

Dans vos dessins, vous privi­lé­giez l’aqua­relle, la coulure, la trans­pa­rence. Que raconte cette matière fluide sur ces portraits?

La trans­pa­rence comme les coulures permettent d’évoquer quelque chose d’in­dé­fi­nis­sable, de pas fini, comme ces ado en construc­tion qui se cherchent. Les coulures assoient aussi davan­tage le dessin dans le tableau et dans le temps. Et puis, je trouve ça plus sexy. Après tout, ce sont des beaux mecs que je peins!

Cette expo­si­tion, est-ce une revanche pour le jeune Edi qui n’a pas pu exis­ter en tant que petit garçon? 

Je ne suis pas revan­chard mais ces dessins permettent de le rendre visible. C’est quelqu’un qui n’a pu se montrer et qui est fier aujourd’­hui de pouvoir exis­ter. Ce travail, c’est moi. C’est moi que l’on voit sur les murs.”

Propos recueillis par Caro­line Sicard

L’Homme aux mille natures, expo­si­tion d’Edi Dubien, jusqu’au dimanche 3 janvier au Musée d’art contem­po­rain, Lyon 6e.

Edi Dubien, « Jeune chevreuil maquillé » (2020).