On pour­rait presque pu croire que l’Ins­ti­tut Lumière se mette aux ventes privées ! Le festi­val Netflix de 9 films inédits qu’on nous annonçait il y a déjà plusieurs semaines (lire notre article précé­dent) aura bien lieu dans l’au­guste maison des frères Lumière, même si… il n’ap­pa­raît nulle part sur le site de l’Ins­ti­tut, pas plus qu’il n’a fait l’objet du moindre commu­niqué offi­ciel. Pour­tant, si vous vous rendez direc­te­ment sur la billet­te­rie du site, vous pouvez parfai­te­ment ache­ter vos places pour les 9 films en ques­tion. Voilà qui s’ap­pelle une commu­ni­ca­tion en sous-marin, pour ne pas frois­ser les salles art et essai ou encore le réseau UGC qui se sont fendus depuis respec­ti­ve­ment d’une lettre ouverte à la ministre de la culture pour lui deman­der d’an­nu­ler l’évé­ne­ment, et dénon­cer “la confu­sion entre diffu­sion audio­vi­suelle et diffu­sion ciné­ma­to­gra­phique” (Alain Suss­feld, patron d’UGC, “radi­ca­le­ment scan­da­lisé par la posi­tion de la Ciné­ma­thèque et de l’Ins­ti­tut Lumière”).

Une alliance de circons­tance ?

Car c’est bien la chro­no­lo­gie des médias (l’ar­ti­cu­la­tion des sorties de films entre les salles, la VOD et les diffu­sions à la télé­vi­sion) qui est aujourd’­hui en plein boule­ver­se­ment. Et c’est d’ailleurs bien au nom de la protec­tion du réseau des salles de cinéma que le festi­val de Cannes s’est toujours inter­dit jusqu’ici de sélec­tion­ner en compé­ti­tion des films produits par Netflix. L’Ins­ti­tut Lumière en a bien conscience, qui a pris toutes les précau­tions d’usage en infor­mant à la mi-novembre ses abon­nés de la tenue de ce festi­val public mais encore secret : “Les plate­formes dont les oeuvres sont desti­nées au petit écran veulent les magni­fier sur le grand, et qu’elles soient vues de la meilleure manière par un public ciné­phile” peut-on lire dans ce cour­rier adressé aux abon­nés. “La Ciné­ma­thèque (qui accueille aussi cette program­ma­tion) et l’Ins­ti­tut Lumière sont des labo­ra­toires qui entendent mener toute expé­rience desti­née au cinéma de demain, autant qu’elles valo­risent le cinéma d’hier, pour que ni l’un ni l’autre ne dispa­raisse.” En ajou­tant avec une prudence de Sioux : “On féli­ci­tera ou on désap­prou­vera ce type d’ini­tia­tives”. D’où sans doute l’ex­tra­or­di­naire discré­tion de l’ins­ti­tu­tion jusqu’ici, alors que la Ciné­ma­thèque annonce et assume l’évé­ne­ment sur son site depuis déjà plusieurs semai­nes…

The Power of the dog de Jane Campion, prix Lumière 2021.

Une chro­no­lo­gie des médias en muta­tion

Si le public lyon­nais aura donc la chance de voir sur un grand écran les nouveaux films de Jane Campion ou Paolo Sorren­tino (déjà proje­tés en séances spéciales au festi­val Lumière), aux côtés d’une batte­rie de films fran­che­ment dispen­sables comme souvent sur la plate­forme, reste à savoir comment le milieu du cinéma et les salles en parti­cu­lier réagi­ront à ce coup d’es­sai vers la néces­saire évolu­tion de la produc­tion et de la diffu­sion des films, et ce qui reste de fait malgré tout une opéra­tion de promo­tion pour la marque d’un seul et unique produc­teur privé, masto­donte devenu incon­tour­nable. On n’est d’ailleurs sans doute qu’au milieu du gué d’une recom­po­si­tion globale, Netflix finançant par ailleurs la restau­ra­tion de certains films de patri­moine, comme par exemple le Napo­léon d’Abel Gance. L’al­liance oppor­tune entre la plate­forme et l’Ins­ti­tut ne fait peut-être donc que commen­cer…

Netflix film club, 9 films inédits du 7 au 14 décembre à l’Insti­tut Lumière, Lyon 8e.