Tout débute par un géné­rique d’un film muet en noir et blanc : « L’Opéra de Lyon présente une histoire d’amour, de vengeance et de malé­dic­tion ! » David Bösch avait déjà mis en scène les fantômes dans le Simon Bocca­ne­gra de Verdi à Lyon – premier opéra dirigé par Daniele Rustioni, le direc­teur musi­cal actuel – et surtout Les Stig­ma­ti­sés en 2015, très belle produc­tion d’un compo­si­teur qu’on décou­vrait alors, Franz Schre­ker. Il réci­dive aujourd’­hui avec cette première française d’Irre­lohe, sur une parti­tion qu’on pour­rait quali­fier de « Wagner comes­tible ». Jouant des leit­mo­tive et de l’im­pres­sion­nisme d’un orchestre central et presque ciné­ma­to­gra­phique (on songe parfois à John Williams, en plus teuton), la musique de Schre­ker est plus indé­cise mais aussi plus narra­tive que celle de Wagner, toujours au service de l’ac­tion.

Château ardent et soprano de feu

Et de l’ac­tion, il n’en manque pas avec David Bösch : le duo mère-fils initial, super­be­ment inter­prété, va rapi­de­ment être perturbé par le retour du père comme un fantôme, jusqu’à ce que le passé fami­lial ne refasse surface, comme ces visages de fantômes à la Shining qui prennent posses­sion de la scène en même temps que l’or­chestre s’em­brase dans un duo d’amour fiévreux, en fin de deuxième acte (l’opéra ne dure que trois actes de 40 minutes, pas de quoi se priver de le décou­vrir). Bösch a le bon goût de lais­ser le désir et le sexe évoqué dans le livret à la voix d’Am­bur Braid et sa ribe affrio­lante, soprano de feu dont le rôle fait figure ici de femme de substi­tu­tion du compo­si­teur, qui écri­vit l’opéra pour elle. Le « château ardent » d’Ir­re­lohe reste en pers­pec­tive en fond de scène dans une scéno­gra­phie splen­dide aux lumières rasantes. Il finira par s’em­bra­ser litté­ra­le­ment au finale en même temps que ces person­nages chao­tiques se libèrent enfin de leurs fantômes, enfin en route vers la « joie ». L’uni­vers braque et fanto­ma­tique de David Bösch convient à merveille à cette musique de l’entre-deux qui cherche son lyrisme en plein chaos, avec même un drôle de prêtre et un groupe de rock qui passe, dans une atmo­sphère entre Murnau et Kubrick. Grand chef spécia­liste de la musique alle­mande, Bern­hard Kontarsky rend constam­ment justice à cette musique incroya­ble­ment expres­sion­nistes, dont on ne comprend pas qu’elle soit restée sur les étagères des opéras français depuis sa créa­tion il y a un siècle. Raison de plus pour courir la décou­vrir à Lyon.

Irre­lohe de Franz Schre­ker (Le Feu follet). Mise en scène David Bösch. Direc­tion musi­cale Bern­hard Kontarsky. Jusqu’au samedi 2 avril à 20h à l’Opéra de Lyon (dim 16h), Lyon 1er. De 10 à 85 €. Lire aussi notre critique de Rigo­letto de Verdi présenté en paral­lèle pendant le festi­val, et la nouvelle saison 2022–23 de l’Opéra de Lyon.