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Déjà sacré meilleur réali­sa­teur pour Harry un ami qui vous veut du bien, Domi­nik Moll nous raconte La Nuit du 12, nommé dix fois aux Césars 2023 dans les caté­go­ries les plus pres­ti­gieuses, dont meilleur film, meilleur scéna­rio et meilleure réali­sa­tion. On croi­sait les doigts pour lui, il en a fina­le­ment remporté 6, dont ceux du meilleur film et de la meilleure réali­sa­tion. Il est cette semaine l’in­vité de Quais du polar.

Depuis Harry un ami qui vous veut du bien  jusqu’à La Nuit du 12 qui vient de rempor­ter le prix Jacques Deray, diriez-vous que vous êtes un réali­sa­teur de polars atypiques ?

Domi­nik Moll : “Oui, ça me va ! Y compris pour Seules les bêtes que j’ai réalisé entre-temps. Ce qui est parti­cu­lier avec La Nuit du 12, c’est que c’est la première fois que je fais un polar du point de vue de la police, des enquê­teurs. En géné­ral, on voit les choses soit du point de vue de ceux qui commettent des choses inavouables, soit de ceux qui les subissent.

La Nuit du 12 est d’au­tant plus atypique que l’enquête va rester irré­so­lue et le crime hanter l’es­prit des deux enquê­teurs. Est-ce que vous diriez aussi que c’est un peu un polar sur une forme d’im­puis­sance mascu­line ?

Non, je ne le défi­ni­rais pas comme ça. C’est un film qui ques­tionne la mascu­li­nité, et plus parti­cu­liè­re­ment “ce qui cloche entre les hommes et les femmes”, comme le dit le person­nage de Yoann (Bastien Bouillon, ndlr). C’est effec­ti­ve­ment un film sur une enquête qui n’est pas réso­lue, en tout cas à la fin du film, mais ce n’est pas pour autant une histoire d’im­puis­sance à mes yeux. Il s’agit davan­tage d’ob­ser­ver la façon dont ces deux hommes peuvent gérer la frus­tra­tion et la colère liées à cette non réso­lu­tion.

Bouli Lanners cuir noir barbe blanche regard surpris La Nuit du 12.
Bouli Lanners, nommé comme César du meilleur second rôle mascu­lin.

Être confronté au quoti­dien à des crimes violents ne peut pas lais­ser insen­sible. Le person­nage de Marceau inter­prété par Bouli Lanners, plus âgé, a plus de mal à contrô­ler ses émotions et notam­ment sa haine, tandis que Yoann essaie juste­ment d’évi­ter d’im­plo­ser en se mettant des barrières très strictes qui passent par le respect de la procé­dure, le choix de ne pas avoir de vie fami­liale, ou la pratique du cyclisme sur vélo­drome pour évacuer toute cette tension qui s’ac­cu­mule.

« La Nuit du 12 est un film sur deux hommes qui apprennent à gérer leur colère et leur frus­tra­tion face à un fait divers parti­cu­liè­re­ment violent. »

DOMINIK MOLL

C’est un polar on ne peut plus clas­sique en ce sens où il s’agit d’un duo de flics, mais là aussi atypique puisque comme dans tous vos films, la dimen­sion psychique et même une certaine forme de mystère est très impor­tan­te…

Oui, c’est une dimen­sion qui m’a toujours inté­ressé, y compris dans mes films qui sont moins des polars. On a tous une façade et des choses qu’on cherche à cacher, jugu­ler, étouf­fer ou simple­ment maîtri­ser… mais qui nous rattrapent. Je trouve que le cinéma se prête parti­cu­liè­re­ment bien à exami­ner ce qui se cache sous la surface des choses.

Diriez-vous que La Nuit du 12 est aussi un portrait plus global d’une certaine mascu­li­nité déglin­guée ?

Oui, c’est certain que les suspects ne composent pas un portrait très glorieux de la mascu­li­ni­té… Mais avec Gilles Marchand au scéna­rio, on voulait aussi que le film soit un éloge de la persé­vé­rance, notam­ment à travers les quelques person­nages de femmes qui n’ont pas forcé­ment un temps très long à l’écran, mais jouent un rôle très impor­tant. Je tenais à ce que le person­nage de Yoann garde une part d’hu­ma­nisme et que le film n’ab­dique pas vers la déses­pé­rance.

Bastien Bouillon et une jeune femme pleurant autour d'une table de cantine avec vue sur l'extérieur.
Bastian Bouillon recueille le témoi­gnage d’une jeune femme, une des scènes les plus boule­ver­santes du film, cadrée comme un tableau de Hopper.

C’est un film qui n’as­sène aucun discours mais reste fémi­niste par miroir en quelque sorte, c’est-à-dire en montrant toute la madcu­li­nité toxique à la lumière de ce fémi­ni­ci­de…

Abso­lu­ment, ce qui nous impor­tait, c’est de ques­tion­ner. Par exemple, lorsqu’une femme dit qu’il est “curieux que la majo­rité des crimes soient commis par des hommes et que ce sont la plupart du temps des hommes qui soient censés les résoudre”… je n’ai pas la réponse. Mais c’est évidem­ment une ques­tion qui mérite d’être posée. C’est un premier pas.

« J’ai d’abord fait les repé­rages sur Google Street View avant de pouvoir me rendre dans les montagnes ! Le décor raconte autant l’his­toire que les person­nages. »

domi­nik moll

Pourquoi avez-vous choisi de dépla­cer le fait divers initial au milieu des montagnes en Savoie et au Vélo­drome d’Ey­bens en Isère ?

De manière géné­rale, le décor d’un film est très impor­tant pour moi et raconte aussi quelque chose. Avec Gilles (Marchand, ndlr), on travaille sur un prochain film dans lequel la nature aura un rôle central. Pour La Nuit du 12, je trou­vais que la montagne réson­nait parti­cu­liè­re­ment bien avec les person­nages. Elle a quelque chose de très beau et de très majes­tueux, mais elle contient aussi quelque chose qui enferme, qui peut être oppres­sant. La PJ de Grenoble entou­rée de montagnes, le vélo­drome d’Eybens ou encore plus la vallée indus­trielle de la Maurienne qui est très encais­sée sont des endroits qui n’ont rien de pitto­resques, et dans lesquels on peut faci­le­ment tour­ner en rond. Ce décor réson­nait parfai­te­ment avec l’enquête.

Bastien Bouillon sur son vélo casque et tenue de cycliste sur une route de montagne La Nuit du 12.
Bastien Bouillon, nommé comme meilleur espoir mascu­lin, sur les routes des montagnes de Savoie.

Vous faites vous-même vos propres repé­rages ?

Oui, mais dans ce cas précis j’ai commencé par Google Street View ! Je connais­sais un peu Grenoble mais pas plus, et on était en plein confi­ne­ment, les dépla­ce­ments étaient très restreints. C’est seule­ment lorsque j’ai pu me dépla­cer que j’ai pu confir­mer sur place ma première impres­sion sur place. C’était encore plus flagrant avec le vélo­drome d’Eybens. C’est rare qu’un vélo­drome soit en plein air, a fortiori au milieu des montagnes. Et voir ce petit person­nage se dépen­ser au milieu de cette immen­sité, encore plus la nuit avec l’éclai­rage, racon­tait vrai­ment quelque chose de lui.

Vous avez déjà le César du meilleur réali­sa­teur pour Harry. Vous pouvez l’avoir à nouveau pour la Nuit du 12, avec en prime celui du meilleur film. Est-on jamais prêt à rece­voir un César ?

C’est toujours un peu bizar­re… On a tous envie de recon­nais­sance, et en même temps on se demande ce que peut signi­fier “meilleur réali­sa­teur”, “meilleur film”, “meilleur ceci” ou “meilleur cela”… Ce qui est beau dans le cinéma en géné­ral et dans le cinéma français en parti­cu­lier, c’est qu’il y a une grande diver­sité de propo­si­tions, surtout lorsqu’elles sont singu­lières. J’aime beau­coup le film de Louis Garrel par exemple qui est aussi un polar, mais sur le versant comé­die. J’at­tends donc les Césars d’une façon assez sereine autant que possible. Je serais surtout heureux pour les autres membre de l’équipe s’ils l’ont, à commen­cer par Bouli Lanners et Bastien Bouillon. Et s’il s’agit du meilleur film et du meilleur réali­sa­teur, tant mieux ! Mais l’es­sen­tiel est fait pour moi : que le film ait pu trou­ver son public.”

La Nuit du 12 de Domi­nik Moll. Projec­tion dans le cadre de Quais du polar, “Du livre à l’écran”. Vendredi 31 mars à 17h au Comoe­dia, Lyon 7e.

Domi­nik Moll sera présent à la table ronde “La Voix long­temps igno­rée des femmes”. Samedi 1er avril à 14h au tribu­nal judi­ciaire de Lyon 3e dans le cadre de Quais du polar. Gratuit. Réser­va­tion obli­ga­toire.

Ecou­tez l’in­té­gra­lité radio­pho­nique de l’en­tre­tien avec Domi­nik Moll dans l’émis­sion Terre de cinéma sur RCF, notre parte­naire.

Bastien Bouillon et Bouli Lanners se retournant étonnés de dos à la nuit tombante dans La Nuit du 12.