Chaque automne ramène la Tous­saint, fête reli­gieuse du monde chré­tien, deve­nue dans notre civi­li­sa­tion un moment de souve­nir et d’hom­mage aux défunts. Des lieux de mémoire et d’his­toire, qui sont égale­ment des lieux de culture, de créa­tion archi­tec­tu­rale et sculp­tu­rale, ancienne ou récente.

Lieux de mort, ce sont aussi des lieux de vie, de travail, d’en­tre­tien, sur l’ave­nir desquels les réflexions sont désor­mais de mise de la part des urba­nistes comme des pouvoirs publics, à commen­cer par les villes qui en ont la propriété et la charge. Ville d’his­toire s’il en fut, par tradi­tion cité d’ec­clé­sias­tiques et de méde­cins, Lyon, à elle seule, théo­rise bien la chose, à travers sa brochette de lieux d’in­hu­ma­tion, sans parler des cime­tières aujourd’­hui dispa­rus.

Le caveau ou la fosse commune

Selon la tradi­tion chré­tienne de l’époque, les Lyon­nais de jadis enter­raient leurs morts à l’in­té­rieur même de la cité. Les défunts des puis­sants chanoines-comtes de la prima­tiale Saint-Jean aux magis­trats muni­ci­paux consti­tuaient l’es­sen­tiel de la noblesse locale. De ce fait, ils avaient droit à un caveau sous les dalles ou dans les chapelles des nombreuses églises de la cité.

Le commun des mortels, lui, devait se conten­ter d’une fosse commune où s’al­lon­geaient les corps en strates succes­sives, recou­verts de chaux vive. Espace souvent exigu, aménagé le plus souvent derrière l’église de la paroisse à laquelle appar­te­nait le défunt, sous forme d’un enclos orné d’une indis­pen­sable croix.

Odeur pesti­len­tielle en pleine ville

En 1778, Lyon et ses trois faubourgs – Vaise, la Croix-Rousse et la Guillo­tière – n’ali­gnaient pas moins de 17 cime­tières, dont trois pour la seule église de Saint-Paul. L’un des plus petits d’entre eux, situé derrière l’église Saint-Nizier reste le plus utilisé, dépas­sant les 700 inhu­ma­tions annuelles dans la décen­nie 1770, véri­table foyer d’in­fec­tion en pleine ville, à l’odeur pesti­len­tielle, mais bordé de rues fort passantes et même de boutiques !

Les moines et les moniales béné­fi­ciaient d’une plus grande consi­dé­ra­tion : les nombreux couvents de la ville, aux terrains volon­tiers éten­dus, tels les Corde­liers, les Jaco­bins, les Céles­tins, avaient leur propre cime­tière, lequel devien­dra au fil des ans et des trac­ta­tions avec le Consu­lat – la muni­ci­pa­lité de l’époque – les places qu’elles sont aujourd’­hui. De même, à part, vont être enter­rés les protes­tants, essen­tiel­le­ment dans deux enclos succes­sifs placés dans la partie septen­trio­nale de l’Hô­tel-Dieu. On y trouve égale­ment un petit espace souter­rain pour les juifs.

Le cime­tière des Corde­liers vers 1550.

Dehors les morts !

De fait, à la fin de l’An­cien Régime, le seul cime­tière extra-muros est celui de la Made­leine, ouvert dans les dernières années du XVIIe siècle, sur le loin­tain site de la Guillo­tière, à l’em­pla­ce­ment d’une ancienne mala­dre­rie. Il est avant tout destiné aux pauvres et aux vaga­bonds décé­dés sans famille, à l’Hôtel-Dieu où à l’hos­pice de la Charité.

Il servira toute­fois jusqu’au milieu du XIXe siècle et les canuts révol­tés y seront encore enter­rés, sous la Monar­chie de Juillet. Le siècle des Lumières marque une brusque évolu­tion des choses : églises et enclos parois­siaux sont bondés et les nouvelles consi­dé­ra­tions hygié­nistes comme philo­so­phiques témoignent en faveur de nouveaux lieux de sépul­ture, prudem­ment placés à l’ex­té­rieur des cités.

Une allée du cime­tière de Loyasse.

Loyasse et la Croix-Rousse

À Lyon, les péti­tions se succèdent en la matière et un édit royal finit par voir le jour en 1776 : les cime­tières exis­tants doivent être agran­dis, voire, s’il nuisent à la salu­brité de l’air, trans­fé­rés hors des villes. Les choses traînent. Une partie du clergé proteste, tels les chanoines de Saint-Nizier qui refusent toute trans­la­tion des corps… sans contre­par­tie. On envi­sage un grand espace sur la rive gauche du Rhône. On pense à un autre dans le quar­tier de Mont­chat.

La Révo­lu­tion repousse la déci­sion… jusqu’à l’ou­ver­ture du cime­tière de Loyasse, sous l’Em­pire et sur un domaine viti­cole acheté sur la colline de Four­vière. Dès 1819, la commune voisine de Vaise se dote d’un cime­tière. En 1823, celle de la Croix-Rousse, pres­sée par le préfet, fait l’ac­qui­si­tion d’un terrain cédé par sa voisine de Caluire-et-Cuire et ouvre le sien, aménagé en croix latine par l’ar­chi­tecte Antoine-Marie Chena­vard, trop exigu et qu’il faudra complé­ter par un nouveau cime­tière en 1894.

Cime­tières catho­liques et protes­tants

En 1820, afin d’ins­tal­ler un nouveau cime­tière d’ac­cès plus facile que celui de Loyasse, la muni­ci­pa­lité lyon­naise achète un vaste empla­ce­ment sur la rive gauche. Aménagé par Chena­vard, il ouvre deux ans plus tard, deve­nant vite l’an­cien cime­tière de la Guillo­tière, juste avant le nouveau, en 1859, doté en 1913 d’un créma­to­rium, le deuxième de France, élevé par l’ar­chi­tecte Curny.

La légis­la­tion chan­geant, les sépul­tures des protes­tants, d’abord soigneu­se­ment canton­nées dans une petite partie du site de Loyasse, sont mêlées aux autres. Mais la suppres­sion des croix monu­men­tales dans les cime­tières lyon­nais, lieux réso­lu­ment laïcs, déci­dée par la muni­ci­pa­lité d’Antoine Gaille­ton, provoque quelques remous.

Cime­tières juifs et musul­mans

Quant aux juifs – il est courant de parler en l’oc­cur­rence d’is­raé­lites – ils sont inhu­més, après la Révo­lu­tion, dans un lieu propre décidé en 1795, mais seule­ment ouvert en 1820 et réalisé par l’ar­chi­tecte Chris­tophe Crépet, le cime­tière de la Mouche, toujours en acti­vité.

Reste aujourd’­hui un problème : les carrés réser­vés à l’in­hu­ma­tion des musul­mans dans plusieurs des cime­tières lyon­nais frôlent la satu­ra­tion. Si, plus modes­te­ment qu’à Loyasse, les deux sites de la Guillo­tière et les deux sites de la Croix-Rousse déclinent nombre de célé­bri­tés lyon­naises enter­rées là, le nouveau cime­tière possède deux parti­cu­la­ri­tés.

Tombes inso­lites : digi­code et condam­nés à mort

À côté, là aussi, des grands noms ense­ve­lis, tels la famille Lumière-Wincler et la famille Rancy, laquelle béné­fi­cie d’un impo­sant monu­ment « équin ». – sans parler d’une indis­crète construc­tion, en forme de temple préten­tieux muni… d’un digi­code ! (photo) – il possède deux lieux aussi discrets qu’é­mou­vants. D’abord le carré destiné aux mort anonymes ou seuls, dont s’oc­cupe le collec­tif « Mort sans toi (t) ». Ensuite une discrète plate-bande située le long du mur bordant le carré de la Hôtel-Dieu, clos de mur et autre­fois destiné aux reli­gieuses hospi­ta­lières.

La tombe à… digi­code du cime­tière de la Guillo­tière.

Bien peu de Lyon­nais savent qu’il s’agit là du second carré des condam­nés à mort – le premier, en acti­vité jusqu’à la Seconde guerre mondiale exis­tait sur la partie nord-est de l’an­cien cime­tière et dispa­rut lors de l’édi­fi­ca­tion de la nouvelle entrée – où reposent les dépouilles des condam­nés à mort exécu­tés à Lyon, entre 1955 et 1966.

80 000 morts plein d’ave­nir

C’est avec ce passé et ces acquis qu’existent et fonc­tionnent aujourd’­hui les cime­tières lyon­nais, couvrant quelque 50 hectares et conte­nant plus de 80 000 sépul­tures « actives », c’est-à-dire possé­dant un contrat en cours, allant du système géné­ral courant sur cinq années, à renou­ve­ler, jusqu’à la conces­sion à perpé­tuité pouvant coûter jusqu’à 125 000 euros pour 25 mètres carrés. À Loyasse, bien sûr !