Il y a peu, se tenait là un restau­rant réunion­nais. Mais le voyage conti­nue, puisque le premier plat, qui nous a forte­ment intri­gué, était un « œuf à la turc ». La recette est ancienne. Elle date au moins de la créa­tion de Cons­tan­ti­nople. Il s’agit d’œufs mollets posés sur du yaourt grec légè­re­ment aillé (ici, du fromage blanc). Il n’est pas certain que le mot « grec » soit volon­tiers cité par les turcs, mais la cuisine a l’avan­tage de rendre les fron­tières poreuses en des temps où les natio­na­lismes s’exa­cerbent. Le résul­tat, soutenu par une petite pluie d’herbes, dont une gibou­lée de persil, offre non seule­ment une palette de diffé­rentes onctuo­si­tés, mais aussi un contraste entre l’aci­dité du laitage et la rondeur de l’oeuf. Une huile pimen­tée ajoute un petit coup de foudre à l’en­semble.

C’est aussi un ami du petit-déjeu­ner. En effet, ce café-restau­rant du midi ouvre de bon matin (7h30). Voilà pourquoi on rencontre aussi à l’ar­doise des œufs Bene­dict (œufs poché sur toast, bacon et sauce hollan­daise, créés au Waldorf Asto­ria en 1892), très agiles, puisqu’ils peuvent aussi bien accom­pa­gner le café qu’un verre d’une jolie petite Syrah des collines rhoda­niennes (5,50 euros). Autant dire que cette légère diver­sion vers la cuisine otto­mane médié­vale n’a rien à voir avec le reste d’une carte de bistrot contem­po­raine, livrée à deux chefs qui ne se donnent pour seuls codes des produits de saison et de bonnes idées.

Poires de terre et œuf à la turque

Ainsi, Paul Bour­reau (eh non, désolé, pas de jeu de mot facile) et Yani Idir font un petit tour à la campagne avec un excellent bouillon de choux au lard et croû­tons, une incur­sion à la montagne avec une crozi­flette aux tuiles de reblo­chon ou une randon­née vers un autre ailleurs avec un velouté de bette­raves à la menthe. Après les œufs du Bosphore, notre igno­rance a été une nouvelle fois mise à l’épreuve face à un foie de bœuf d’Au­brac à la « purée de poires de terre » et écha­lotes confites. « Oh la bourde ! » se dit une partie de notre cerveau qui pense patates.

Erreur ! La « poire de terre » est l’autre nom du yacón des Andes, un tuber­cule vague­ment cousin du topi­nam­bour, doté d’un soupçon de saveur de poire. Celui là n’a pas eu à traver­ser l’At­lan­tique : il est produit en Bretagne. Seule petite remarque : la panna cotta à la citron­nelle (drômoise) aurait mérité moins de géli­fiant. Mais tout le reste est fluide, malin, joyeu­se­ment cuisiné à quatre mains. Dernier détail qui marque ce café de quar­tier, les apéri­tifs et diges­tifs, gin, vermouth, whisky, etc. sont fabriqués en France, jusqu’au kéfir, maison.

Le Café des Cuisi­niers. 33 avenue Félix-Faure, Lyon 3e. 09 81 70 31 57. Fermé dimanche et lundi et le soir. Formule : 21 €. Menu : 23 €. Photo : Tom Augendre / Exit Mag.