Denis Poda­ly­dès met en scène L’Orage, pièce mécon­nue du plus grand drama­turge russe en nombre de pièces, Alexandre Ostrovski. Avec une pléiade d’ac­teurs plus beaux les uns que les autres, pour dres­ser le portrait des contra­dic­tions de la culture russe telle qu’on la connaît encore aujourd’­hui, Mélo­die Richard en tête.

C’est le portrait d’un pays à travers l’his­toire d’une femme. Celle de Katia Kaba­nova, la même que dans l’opéra de Jana­cek, dont le livret est adapté de la pièce… On ne vous racon­tera donc pas la fin !

Mariée à un idiot (lucide) porté sur la bouteille de vodka (formi­dable Thibaut Vinçon, aimant et évitant toute cari­ca­ture) mais surtout écrasé par « môman » (Nada Stran­car, voix de légende pour monstre mater­nelle tyran­nique), Katia va voir passer un mirage : celui d’un amour possible avec Boris (Julien Campani, dont le débit moderne impose son charisme et son person­nage en moins de deux minutes au début de la pièce), occi­den­ta­liste qui ne rêve que d’un ailleurs à de « trou perdu » dont « le peuple est gouverné par la peur« .

Thibaut Vinçon, Mélo­die Richard et Nada Stran­car dans L’Orage.

L’aveu­gle­ment des valeurs tradi­tion­nelles de la Russie

Toute ressem­blance avec la Russie actuelle n’est pas fortuite et c’est bien parce que ce portrait d’une petite ville fictive des bords de la Volga a valeur univer­selle que Denis Poda­ly­dès a choisi de le monter. L’adap­ta­tion de Laurent Mauvi­gnier traduit parfai­te­ment les contra­dic­tions ances­trales de cette Russie de toujours, bibe­ron­née au joug fami­lial le plus écra­sant, aveu­glée par ses propres mythes, rétive à toute liberté qu’on accor­de­rait aux personnes surtout quand elles ont un sexe de femme. L’écri­vain en tire surtout une langue qui peut s’in­car­ner aujourd’­hui, et ce de la plus belle des manières.

La sobriété du théâtre de tréteaux avec vue sur une Volga de poster sert parfai­te­ment ce qui reste avant tout une gale­rie de person­nages, avec même quelques accents comiques autour de quiproquos qu’on jure­rait volés au théâtre euro­péen (Ostrovski l’a d’ailleurs étudié en son temps). « La joie, ça peut être court« , prévient le poète incarné par Philippe Duclos. Ici, elle dure 2h30.

L’amant et le poète, Julian Campani et Philippe Duclos.

Théâtre vibrant et direc­tion d’ac­teurs hors-pair

Si cette pièce mineure, encore mécon­nue de ce côté-ci de la Volga, conserve une drama­tur­gie rela­ti­ve­ment datée, c’est à travers le miroir qu’elle nous tend et sa direc­tion d’ac­teurs hors pair que Poda­ly­dès réus­sit à en faire un spec­tacle qui, comme disent les Suisses, nous déçoit en bien. Les courtes allu­sions à la télé­vi­sion occi­den­tale font mouche (la séquence de Blanche-Neige en pleine chute ou l’an­nonce de l’orage à travers un docu­men­taire sur la Volga en noir et blanc). Mais c’est surtout grâce à sa façon de faire vivre les senti­ments de chaque person­nage ici et main­te­nant, hors de tout exotisme et dans un théâtre vibrant, débar­rassé de toute affé­te­rie pour faire époque, que Poda­ly­dès rend justice à cette culture russe, vestige qu’il faut conti­nuer de défendre comme l’âme de Kate­rina (extra­or­di­naire Mélo­die Richard). Une décou­verte salu­taire.

L’Orage d’Alexandre Ostrovski. Mise en scène Denis Poda­ly­dès. Jusqu’au samedi 18 mars à 20h au théâtre des Céles­tins, grande salle, Lyon 2e. De 7 à 40 €.