(mis à jour)

Vous reprendrez bien un peu d’anti-terrorisme et de polémique militaire ? Entendons-nous bien, à travers un des derniers et meilleurs films de Clint Eastwood, American Sniper, diffusé pour la première fois gratuitement sur France 3. Une analyse complexe et ambiguë du héros américain, du patriotisme et de l’armée comme aime les faire le prix Lumière 2009… Voilà une révision qui ne peut pas nous faire de mal à l’aune des débats et tribunes actuels…

Bradley Cooper dans American Sniper de Clint Eastwood.

Bradley Cooper, barbe à la Chuck Norris

Toujours fidèle à son maître Don Siegel, Eastwood mêle à la fois du cinéma d’action directe, brut de décoffrage – au prix de quelques effets de manche, certes – et un “héros” opaque, violent, amoral. Barbe à la Chuck Norris, Bradley Cooper campe Chris Kyle, le meilleur tireur d’élite qu’ait jamais connu l’armée américaine, aussi robuste physiquement qu’inaccessible psychologiquement.

Adapté de ses mémoires, le film oscille en quatre “tours” de guerre entre scènes de combats hyper-réalistes – presque insoutenables lorsque les enfants sont utilisés comme piège de guerre – et des retours au pays d’un soldat dévasté. Destruction psychologique, “soif de mort” que lui reprochera sa femme (Sienna Miller, lumineuse), horreur permanente des crimes de guerre sur le terrain, inefficacité de l’armée américaine qui voit ses soldats décimés par des barbares…

Si le personnage reste ambigu dans ses motivations, American Sniper n’est clairement pas le film va-t-en-guerre qu’ont voulu voir à l’époque des anti-américains primaires qui résument Clint au Républicain bourrin qu’il n’est pas, oubliant de commencer par regarder ses films…

American Sniper de Clint Eastwood, à voir gratuitement sur France 3.

American Sniper et la culture des armes

Le film pose clairement ses enjeux dans une scène d’introduction magistrale : Chris Kyle n’hésite pas à viser un enfant s’apprêtant à lancer une bombe sur un char américain (la scène est absente du livre, Eastwood n’ayant rien voulu édulcorer). Mais au moment du tir, le réalisateur choisit l’arme du flashback, renvoyant au coup de feu du père de Chris, chasseur texan, et à la culture des armes qu’il lui a inculquée lorsqu’il était petit.

Il faut donc prendre ce film de guerre à longue portée pour ce qu’il est : une histoire de la violence, décontextualisée (pas la moindre allusion géopolitique pendant les faits), un autoportrait de l’Amérique par un simple soldat qui croit en elle comme “le plus grand pays du monde”, veut la défendre, fasciné par la violence et son aptitude à tirer… mais totalement déphasé, aliéné par la guerre, les mains dans le sang, fantôme de lui-même quand il rentre chez lui. Eastwood montre ces deux faces d’une même réalité en toute intelligence et complexité. Une “Légende” pour les autres, mais un anti-héros pour lui-même…

Hommage d’Eastwood à Ennio Morricone

Si la position du sniper, à la fois toujours à part et en même temps agissant au nom de sa communauté, permet à Eastwood de multiplier les points de vue dans d’extraordinaires scènes de guerre jusqu’au mano a mano final, la conclusion, elle, reste impitoyable.

Chris Kyle mourra bêtement juste après avoir raccroché, tué incidemment par un vétéran militaire, comme un énième écho d’une violence qui n’en finit jamais, à l’image de ces (vrais) éclopés vétérans addicts au point de continuer à tirer un bras ou une jambe en moins. Les images d’archives des funérailles nationales au générique de fin (sur une musique de Morricone) résonnent alors avec le goût amer et sans pitié des grands anti-héros eastwoodiens. Ceux qui creusent leurs propres tombes.

Bande annonce la sortie du film en 2015.

American Sniper de Clint Eastwood (2015, EU, 2h14) avec Bradley Cooper, Sienna Miller, Luke Grimes, Jason Dean Hall…