Russie, XIXe siècle. Antonina Miliukova (Aliona Mikhaïlova), jeune femme aisée et apprentie pianiste tombe éperdument amoureuse du compositeur Piotr Tchaïkovski (Odin Biron). Consumée par ses sentiments, elle le force à l’épouser en lui promettant une dote conséquente (menaçant, au passage de se suicider s’il refuse) et celui-ci accepte principalement pour se protéger socialement.

Ne cachant rien de l’homosexualité du grand compositeur (que le pouvoir russe continue de nier), le film s’intéresse surtout à l’obsession et la possessivité maladive de la jeune femme. Une personne plus lucide aurait pu déceler certains signes chez cet homme qui dit ne pouvoir offrir que  « l’amour d’un frère » à Antonina et dont les fréquentations sont à 99% masculines.

Homosexualité et déni conjugal

Mais la jeune femme semble inconsciente – ou dans un semi déni – de l’orientation sexuelle inflexible de son mari et se dit prête à tout endurer pour rester auprès de lui malgré la brutalité du rejet. Une relation toxique qui aboutit assez rapidement à un divorce et signe le début d’une longue descente en enfer pour Antonina, dévorée de l’intérieur par cet amour à sens unique.

Si la mise en scène reste faussement clas­sique dans la première partie du film, Kirill Sere­bren­ni­kov s’autorise quelques plans séquences et une musique originale omniprésente dans laquelle Tchaikovski ne tient qu’un portion congrue.

La Femme de Tchaïkovski, un des grands films de l’année

Cette Femme de Tchaïkovski tient  à la fois de la réhabilitation d’un personnage féminin méprisé, d’une relecture des grands personnages de l’histoire russe à l’aune des rapports humains poussés jusqu’au paroxysme : amour aveugle, mensonge social,, haine conjugale et privation sexuelle que l’une comme l’autre iront combler ailleurs, et que Serebrennikov filme avec la dernière crudité.

Après Leto, le cinéaste et dramaturge russe confirme par un tout autre style le grand artiste qu’il est. On aura rarement vu au cinéma un tel tombeau de fantasmes et de frustrations, le film s’ouvrant sur le compositeur sortant de son cercueil réveillé par sa haine, pour se terminer dans un cimetière d’anges déchus, aux paysages à la beauté somptueuse et définitivement morbide. Vous ne pourrez plus jamais écouter Tchaïkovski comme avant, mais vous aurez vu un des grands films de l’année.

La Femme de Tchaïkovski de Kirill Serebrennikov (Rus-Fr-Sui, 2h23) avec  Odin Lund Biron, Alyona Mikhailova, Filipp Avdeyev… Sortie le 15 février. Désormais disponible sur Canal Cinémas.