Le Roman de Marguerite Gautier, un grand Cukor à redécouvrir

La notion de « direction d’acteurs » a dû être inventé pour Cukor, tant il aura révélé de comédiens sous un autre jour. Camille (Le Roman de Marguerite Gautier en français dans le texte), est tout entier le film de Garbo, épousant tous les visages de l’amour, du plus taquin au plus vulnérable et vaincu. En même temps que le rôle de la Traviata, dont Cukor cite avec parcimonie en contrepoint des extraits musicaux, jamais redondants.

Ces « camélias » (très beau titre original) respirent les grandes heures de la MGM qui face à la star Garbo révèle le jeune Robert Taylor dans une reconstitution éblouissante du paris de 1847 (avec comme dans son Roméo et Juliette William H. Daniels en chef op). Cukor a appris du faste de Roméo et Juliette pour le résoudre ici dans un intimisme on ne peut plus personnel.

Le plus beau rôle de sa carrière pour Greta Garbo

Il offre un naturel en état de grâce à Garbo, comme si le film venait d’elle… Mais c’est bien son art de l’orchestration qui en fait un chef-d’oeuvre, pendant de l’opéra de Verdi. L’amour sincère transpire à chaque seconde comme dans la scène du baiser, mais en « mélo-man« , Cukor distille comme Verdi dans son adaptation une série de rendez-vous manqués pour mieux faire exister l’intensité de son sentiment impossible. Fini les oripeaux, c’est à la campagne, lorsque les apparences tombent, que la vérité peut éclater dans le face-à-face avec le père d’Armand, point culminant de cette tragédie romantique comme dans l’opéra de Verdi.

Le Roman de Marguerite Gautier ou La Traviata

Garbo considérait qu’il s’agissait du plus beau rôle de sa carrière, elle avait raison : ceux qui la voient encore maniérée, hautaine, pincée, ferait bien d’aller y jeter un œil : lascive, désespérée, joueuse, vulnérable,, naturelle comme jamais, il y a déjà de la Danielle Darrieux dans cette Garbo-là… Avec une coda magnifique : « La Femme aux deux visages » qui sera son dernier film, tourné cinq années plus tard, plus léger et largement sous-estimé, dans lequel elle s’affranchira encore plus de sa propre image…