C’est dans un bouge tenu par Yolande Moreau – un bar à hôtesses au tréfonds d’Albi – qu’un maire de droite sans vergogne va faire plus ample connaissance avec un élu écolo qu’il veut convaincre de voter pour un sinistre projet de centre de loisirs en lieu et place d’une forêt. On vous laissera découvrir comment, leur façon de se rencontrer déterminant tout le reste du film. Car En même temps a un titre trompeur et n’est certainement pas une comédie politique anti-Macron à la veille des élections. C’est même peut-être le film le plus conceptuel, radical et dérangeant qu’ait signé le duo Kervern et Delépine, toujours capable de se renouveler, avec une maestria visuelle pour filmer la vie de province unique dans le cinéma français. Chacun des réalisateurs fait son apparition le temps d’un numéro d’acteur désopilant, comme aussi François Damiens dans un monologue double ration ou une danse de flic qu’on inscrit d’ores et déjà dans notre petit panthéon personnel des scènes de l’année.

India Hair et Laetitia Dosch, les « Colle-girls » dans En même temps. (photos Chloé Carbonel)

Parabole trash sur le vivre-ensemble, écolo et féministe

Tout aussi dérangeant et sexué que leur Effacer l’historique dans sa première partie, En même temps pousse l’absurde jusqu’au chaos politique, en tapant sur tout ce qui ne bouge plus, des médias rances comme “WC9” (sic) ou les réunions EELV : “Vous ne risquez pas d’y aller en co-voiturage, vous ne pourrez jamais revenir ensemble vous n’êtes d’accord sur rien.” Les « Colle-girls » y font des canulars sexistes hilarants et Anna Mouglalis trompe son monde avec sa voix grave de travelot brésilien (mais elle joue bien la femme du maire). Kervern et Delépine débordent d’idées comme toujours et l’art de l’observation sociale fait souvent mouche, même si le pamphlet contre l’hypocrisie en politique touche parfois à la caricature. Mais c’est surtout du côté des frères Farrelly et de leur Deux en un, film sous-estimé avec Matt Damon, que lorgnent les trublions du cinéma français. Vincent Macaigne, enfin sobre, et Jonathan Cohen exceptionnel à toujours vouloir entrer dans le champ pour dire des insanités, forment un duo littéralement inséparable pour cette parabole trash sur le vivre-ensemble, qui réussit le tour de force d’être écolo et féministe en restant mal pensante. Déjà un des films de l’année.


En même temps de Benoît Delépine et Gustave Kervern (Fr, 1h48) avec Jonathan Cohen, Vincent Macaigne, Yolande Moreau, India Hair, Jehnny Beth, Laetitia Dosch, François Damiens, Anna Mouglalis, Anne Benoît… Sortie le 6 avril.

Lire aussi notre entretien avec Gustave Kervern dans Exit print n°97 d’avril.

Benoît Delépine et Gustave Kervern sur le tournage d’En même temps. (photo Chloé Carbonel)