C’est un des plus beaux films de James Ivory, et un film fondamental dans l’histoire de l’homosexualité au cinéma. Documentariste du passé en quelque sorte, avant d’être oscarisé pour l’adaptation au cinéma de Call Me by your name, Ivory signait avec sa trilogie consacrée à E.M. Forster parmi ses plus beaux films, avec son complice de toujours à la production, à la ville comme à l’écran, Ismaïl Merchant. Entre Chambre avec vue et Howards end, Maurice tient une place à part. D’abord parce qu’il s’agit d’un roman posthume de Forster, paru en France en 1973… soixante ans après son écriture, du fait de sa révélation homosexuelle. Ensuite parce qu’il s’agit du film le plus personnel d’Ivory, portrait de l’affranchissement d’un fils de bonne famille trouvant sa propre voie par le libéralisme (il travaille à son compte) et ses amours pour un garde-chasse, après que l’objet de son désir (Hugh Grant dans son premier rôle, au faîte de sa beauté) ait renoncé à sa sexualité pour mieux embrayer les conventions de la politique.

James Wilby et Rupert Graves dans Maurice de James Ivory.

Coming-out d’époque

Renoncement à être soi-même par conformisme, hypocrisie familiale, amour par-delà les barrières sociales, si Maurice est un grand film romantique, ce n’est pas seulement parce qu’il était au moment des années sida un des tout premiers films ayant pour thème l’homosexualité à bien se terminer (on vous laissera le découvrir). Mais aussi parce qu’en plus de sa discrète ironie qui ouvre le film sur une plage où ont été oubliés sur le sable des dessins obscènes, il embrasse toute l’histoire de l’homosexualité à travers les amours de Clive et Maurice dans l’Angleterre victorienne de Cambridge : Oscar Wilde et les « Unspeakables » (« Intouchables« ), la pédérastie antique dans des cours savamment distillés, et la chasse aux sorcières dont les homosexuels ont été victimes à travers des scènes effroyables qui mènent jusqu’au procès et à la peine de mort. Derrière le classicisme sublimé de la photo de Pierre Lhomme, le chef opérateur de L’Armée des ombres de Melville, Ivory est tout sauf un cinéaste académique : il donne à voir des personnages invisibles du passé, marginalisés par une société du passé, pionniers des luttes pour l’émancipation et l’affirmation homosexuelles, combattant le puritanisme. En révélant en prime des comédiens inconnus, comme ici Hugh Grant, James Wilby ou Rupert Graves, irrésistible garde-chasse canaille et amoureux, amant d’une sorte de Lady Chatterley au masculin. Une espèce de chef-d’oeuvre du genre.

La bande annonce d’époque en 1987.

Maurice de James Ivory, (1987, G-B, E-U, 2h20) avec James Wilby, Hugh, Grant, Rupert Graves, Simon Callow, Ben Kingsley… En replay sur Arte.

Remerciements pour les photos au festival Ecrans mixtes, dont James Ivory fut l’invité d’honneur en 2019.