C’est la première création de Jean Bellorini pour le TNP. Elle aurait dû faire l’ouverture du festival d’Avignon en 202 dans la Cour d’honneur. Infiniment reportée mais jamais abandonnée, la voici enfin. Un drôle de cabaret pour une quinzaine d’acteurs et musiciens aux visages blafards et aux yeux rougis comme de gentils fantômes. Leurs physiques sont aussi différents que celui de François Deblock, « Orphée malgré lui« , acteur-allumette à la voix de fausset chantant comme les anges, ou Anke Engelsmann, ancienne comédienne du Berliner aux jambes sans fin comme les arbres, sortant ses tripes pour un moment de chanson de poignant.

Marc Plas et Anke Angelsmann dans Le Jeu des ombres. (photos Christophe Raynaud de Lage)

Cabaret de l’au-delà

C’est la première originalité de ce spectacle entre ombres et lumières, bricolé avec la même poésie que les claviers de pianos brinquebalants recomposés par les ateliers du TNP pour habiter en dansant la scénographie : faire entrer la musique de plain-pied dans l’univers langagier de Valère Novarina, monté pour la première fois sous le regard d’un autre. Bellorini a un rapport charnel avec la musique, et cette variation autour du mythe d’Orphée offrent des moments musicaux ensorcelants, passant l’arme à gauche en franchissant une lèvre de feu qui traverse toute la scène, pour chanter aussi bien Monteverdi que des rengaines en bande, en de magnifiques chansons composées pour l’occasion.

Opéra graphique

Hélène Patarot et François Deblock dans Le Jeu des ombres.

C’est on ne peut plus émouvant, et la langue obsessionnelle de Novarina, pétrie de traits de génie et d’un appétit gargantuesque pour les listes et énumérations, y trouve un nouveau débouché sur scène dans cette quinzaine de corps chantant et jouant, designés comme des personnages de manga par les costumes graphiques de Macha Makéïeff. Musicien lui-même, Jean Bellorini parvient à dessiner une nouvelle architecture aux mots de Novarina, dans l’espace et la lumière d’un plateau (qui rappelle d’ailleurs ceux de Py et Weitz) comme dans le mouvement du spectacle, jamais fastidieux sur 2h10. Aux moments de comédie comme le grand soliloque sur Dieu citant aussi bien Françoise Hardy qu’Ophélie Winter (qu’on n’entend pas, rassurez-vous), Bellorini part du souffle de la langue propre à Novarina pour mieux l’emmener vers la musique de son cabaret de l’au-delà, avant de retourner à la danse des mots. Une fois le mythe d’Orphée et Eurydice franchi au son des claviers et des accordéons (avec un jeune contre-ténor de 18 ans bouleversant), le texte nu reprend ses droits, pour s’amenuiser jusqu’au dernier mot de la dernière liste pour saluer les oiseaux et leur nymphe arboricole : « Eurydice« . C’est superbe. Novarina a trouvé en Bellorini un écrin qui fait résonner sa langue d’une façon encore plus poétique. Lui qui aime les énumérations, il y a fort à parier qu’il ne s’agisse ici, en guise de création, que d’un commencement, appelant des textes nouveaux. Tant mieux.

Toute la troupe du Jeu des ombres derrière leurs claviers.

Le Jeu des ombres, de Valère Novarina. Mise en scène Jean Bellorini. Jusqu’au dimanche 30 janvier au TNP à Villeurbanne à 20h (dim 15h30). De 14 à 25 €.

Lire aussi notre entretien avec le comédien François Deblock dans le numéro d’Exit de janvier spécial rentrée culturelle.