L’en­trée de l’ex­po­si­tion regroupe des caisses de trans­port mari­time, évoquant la manière dont ces objets ont quitté le conti­nent afri­cain. L’am­biance fait un peu Tintin au Congo. On ne suspecte pas un instant le musée de néoco­lo­nia­lisme, d’ailleurs un cartel au sein du parcours évoque le problème. On perçoit plutôt cette intro­duc­tion comme une ques­tion. Et comme dit le proverbe came­rou­nais vendu sur carte postale à la boutique du musée : « celui qui pose des ques­tions doit accep­ter de rece­voir des réponses  ».

Les 230 objets, prin­ci­pa­le­ment origi­naire du Came­roun et du Nige­ria, issus de la collec­tion du couple de passion­nés Ewa et Yves Deve­lon, posent beau­coup plus de ques­tions que de réponses. Le musée qui, à terme, en sera proprié­taire grâce à la géné­reuse dona­tion des Deve­lon aura tout le temps d’enquê­ter sur chaque objet, dont la diver­sité est fina­le­ment mal connue du grand public -vers lequel Afrique, mille vies d’objets est destiné. Car, au final, ce que l’oc­ci­dent nomme « art afri­cain » échappe encore à l’ana­lyse systé­mique.

Masque cimier.
Collec­tion Ewa et Yves Deve­lon pour le Musée des Confluences 2019

Afrique : secrets et mystères d’une esthé­tique trou­blante

La culture orale ne rend pas évidente la recherche d’une histoire de l’œuvre, sa data­tion précise, sa prove­nance (elles ont pour certaines beau­coup voyagé, passant de mains en mains) et même le contexte d’uti­li­sa­tion. Car chaque rivière a sa propre source (autre proverbe afri­cain). Ainsi, ce magni­fique plateau Yorouba (sud du Bénin, première moitié du XXe siècle) hérissé de statuettes repré­sen­tant un groupe de person­nages aux accou­tre­ments et acti­vi­tés variés a été radio­gra­phié, passé au micro­scope élec­tro­nique, complété d’ana­lyses biochi­miques…

On sait de quel bois il est fait, mais toujours pas à quoi il servait. Autre écueil : les objets, qu’ils aient une fonc­tion rituelle, sociale ou hono­ri­fique, ne sont pas signés par l’ar­tiste. Ils sont géné­ra­le­ment le fruit d’une commande, parfois même au sein de socié­tés secrètes. Voilà pourquoi le témoi­gnage et les photos qu’a apporté dans les années 70 l’his­to­rien de l’art Arnold Rubin, du sculp­teur Lenke, est précieuse. La multi­pli­cité des expres­sions se retrouve aussi bien dans les masques (un excep­tion­nel masque verti­cal est présenté), que dans une porte de grenier avec des seins (mais oui) ou un textile aussi beau que complexe. Au-delà du parcours péda­go­gique passion­nant, on ne peut que rester bouche bée devant une esthé­tique trou­blante, souvent émou­vante. Un art spéci­fique, mais univer­sel.