C’est une mélopée. Un ballet tragique en clair-obscur d’où surgissent peut à peu les personnages comme des ombres et et peu à peu la mer dans uns superbe création vidéo de Nicolas Comte. La première qualité de cette relecture du mythe d’Iphigénie par Tiago Rodrigues (metteur en scène et nouveau directeur du festival d’Avignon, ici en auteur singulier), c’est de rendre lisible l’histoire d’Iphigénie. Au prix parfois de quelques redondances : « il n’y a pas de vent » et « les femmes sont en colère« , on l’aura compris…). La scénographie hiératique de Barbara Kraft rappelle celles de Richard Peduzzi pour Chéreau et épouse parfaitement les mises en abîme du récit, décliné comme un souvenir qui se transmet d’un personnage à l’autre. La mélopée se mérite, mais elle reste habitée par des comédiens qui n’oublient pas de jouer le dilemme des situations au lieu de déclamer. Mentions spéciales à Vincent Dissez en Agamemnon “brisé de l’intérieur” et à Philippe Morier-Genoud en vieillard puis messager, détournant la tragédie vers des personnages reprenant peu à peu leurs destins en main, notamment lors d’une dernière séquence qui ouvre les chemins de l’espérance moderne au détriment de l”ancienne tragédie.

Iphigénie de Tiago Rodrigues mis en scène par Anne Théron.
Caroline Amaral en jeune Iphigénie.

D’une guerre l’autre

Ce n’est pas sans écho aux Dieux, “armée de l’inévitable”, à l’aube d’une guerre qui était celle de Troie mais qui est encore plus réelle aujourd’hui, à quelques dizaines de kilomètres de là… Anne Théron ne surligne pas le parallèle, elle se contente d’ouvrir le spectacle sur des faisceaux d’hélicoptère. Mais le monologue de l’Iphigénie de Carolina Amaral (jusqu’à chanter en portugais) a tout du dilemme de la jeunesse d’aujourd’hui. Celle qui ne veut plus mourir… pour rien. “Je n’ai d’autres armes que ma jeunesse je ne veux mourir pour personne. Je n’appartiens pas à vos souvenirs…” D’un petit napperon immaculé sur ses épaules, elle se défait du joug familial qui constitue le tragique pour réclamer son libre arbitre de femme et son goût de vivre. Tiago Rodrigues impose sa lecture du mythe, ayant renoncé au tragique. Ce beau spectacle qui se mérite est tout sauf désincarné.

Iphigénie de Tiago Rodrigues. Mise en scène Anne Théron. Du mercredi 18 au dimanche 22 janvier 2023 à 20h (dim 16h) au théâtre des Célestins , grande salle, Lyon 2e.

La scénographie splendide de l'Iphigénie vue par Anne Théron.