La roman­cière sici­lienne Goliarda Sapienza n’aura jamais vu les fruits de son travail. Après neuf ans consa­crés à la rédac­tion de son livre, elle passera les décen­nies suivantes à subir le refus des éditeurs. C’est fina­le­ment deux ans après sa mort, en 1998, que LArt de la Joie sera enfin publié. Un roman-fleuve qui retrace l’épo­pée de Modesta, héroïne sici­lienne, amorale et trans­gres­sive, de son enfance à la vieillesse.

Photos : Matthieu Sandjivy.

Portrait d’une époque et d’une femme livrée à elle-même

Consa­crée aux deux premières parties du livre, il fallait bien 5 h 30 pour mettre en scène cette grande fresque. Une adap­ta­tion proche du livre, qui commence d’ailleurs par la lecture du roman par Noémie Gantier qui inter­prète brillam­ment Modesta, tout du long. S’en­suit un prologue violent et dur. Modesta, âgée de 4–5 ans, gambade sur le « terrain boueux » de la maison fami­liale.

La gamine brûle de comprendre le monde qui l’en­toure. Dans le clair-obscur pour­tant, des corps émergent, absents : sa mère et sa sœur handi­ca­pée. Modesta se retrouve livrée à elle-même et à la concu­pis­cence des hommes. Dès lors, elle fera tout pour conqué­rir sa propre liberté.

L’Art de la joie, allez-y, ça dure 5h30 !

On ne peut pas faire un spec­tacle aussi long sans quelques longueurs. Pour­tant, rien n’est de trop dans cet Art de la joie. Ce souffle qui porte notre héroïne, on le retrouve dans la mise en scène d’Ambre Kahan. Les scènes s’en­chaînent à un rythme soutenu. On passe du tragique au stand-up sans fausse note, d’un couvent à des palais somp­tueux. Chaque tableau four­mille de détails et d’une profon­deur unique. Les scènes de sexe sont abor­dées fron­ta­le­ment, jamais gratuites, mais toujours avec un soin apporté à l’es­thé­tisme.

C’est aussi le portrait d’une époque qu’on suit dans L’Art de la joie, de la montée du socia­lisme italien aux bruits des bottes musso­li­nienne. Malgré cela, Modesta pour­suit sa quête, avec des joies et des peines, à travers cette œuvre jouis­sive, jubi­la­toire et lumi­neuse. Un grand spec­tacle !