On ne vous racon­tera rien, mais ce n’est pas tous les jours qu’on voit un film d’amour incarné, char­nel, qui se déroule unique­ment dans l’étran­geté d’un rêve. Et jusqu’au bout.

Voici donc que dans un immeuble de Londres du siècle dernier aban­donné, deux soli­tudes vont se rencon­trer. L’un vient toquer à la porte de l’autre, mais il faudra un peu de temps pour que la rencontre se fasse. Car l’autre est écri­vain, et se projette déjà dans son livre. Il part à la rencontre de ses parents… dont on découvre qu’ils ont le même âge que lui. La scène la plus drôle du film (c’est pas très diffi­cile) le fera se coucher en pyjama à quarante ans bien passés entre ses deux géni­teurs.

Andrew Scott dans son appar­te­ment sur fond de Londres irréel.

Car avant d’être une histoire d’amour, Sans jamais nous connaître est aussi un conte sur l’an­goisse de vieillir, et de vieillir sans ses parents. Le temps qui passe était déjà au coeur de 45 ans, le précé­dent film d’Andrew Haigh avec Char­lotte Rampling, sur un couple hétéro qui fêtait ses 45 ans de mariage. En trans­po­sant à Londres Promesses d’un été Japo­nais Taichi Yamada, il inscrit ici Sans jamais nous connaître dans un dimen­sion fantas­tique nouvelle qu’il va tenir jusqu’à la dernière scène.

Sans jamais nous connaître, dans le présent des rêves

La chan­son des Pet Shop Boys du film.

Il n’en filme pas moins tous les grands senti­ments du mélo – le deuil, la peur d’ai­mer, la soli­tude, l’amour fantasmé – mais dans l’at­mo­sphère surna­tu­relle d’un Londres intem­po­rel, au temps des K7 et des Pet Shop Boys. Une beauté perma­nente de la mise en scène qui ne se réduit jamais à l’exer­cice de style. Car le miracle, c’est d’in­car­ner chaque situa­tion dans le présent des rêves, comme reve­nus de notre propre vécu.

La révé­la­tion Andrew Scott

Andrew Scott sur le quai des amours.

Aux côtés de Paul Mescal, toujours éton­nant depuis After­sun, Andrew Scott (vu dans 1917 ou Sher­lock et bien­tôt dans la série Ripley pour Netflix) est propre­ment boule­ver­sant, qu’il évoque la soli­tude de l’écri­vain qui renaît douce­ment à l’amour, ou le senti­ment homo­sexuel de rester à part aux yeux de ses parents. Il est vrai que son père (Jamie Bell, l’an­cien Billy Elliott) a l’âge et la mous­tache de son nouvel amant de palier…

Paul Mescal et Andrew Scott.

En pleine matu­rité comme son frère de cinéma Ira Sachs, Andrew Haigh n’ap­puie jamais sur le mélo ou la psycha­na­lyse. Il se concentre de filmer le moment présent de deux êtres à part, comme étran­gers au monde (le titre origi­nal est All of us stran­gers), ni moches, ni beaux, hors d’âge, avec de sérieux cadavres dans le placard. C’est toute la beauté de ce Jamais sans nous connaître, assez inédit dans son mélange des genres entre inti­mité et fantas­tique. Un grand film d’amour étrange et péné­trant.

Sans jamais nous connaître d’An­drew Haigh (All of us, stran­gers, GB-EU, 1h45) avec Andrew Scott, Paul Mescal, Jamie Bell, Claire Foy… Sortie le 14 février.

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