Entretien. Tiré de l’histoire vraie de Maureen Kearney, La Syndicaliste de Jean-Paul Salomé ose nommer les différents acteurs publiques et politiques de ce scandale étouffé : Sarkozy, Proglio, Anne Lauvergeon, Montebourg, Hollande… dans un thriller politique et psychologique haletant, complexe et pourtant jamais manichéen. Entretien avec le réalisateur du film français le plus ambitieux de la rentrée.

C’est sur Twitter que vous aviez découvert l’histoire de Maureen Kearney ?

Jean-Paul Salomé : « Oui, c’est en lisant un tweet qui mentionnait le livre de Caroline Michel-Aguirre que j’ai découvert cette histoire. Le livre n’est pas un roman, c’est vraiment une enquête journalistique par une des grandes plumes de l’Obs. Le tweet m’a amené au livre, le livre au fait divers et le fait divers à la vraie Maureen Kearney, dont je n’aurais pas pu raconter l’histoire sans son assentiment. Dès la page 3 du livre, je me suis dit qu’il y avait un film à faire, avec surtout l’envie commune de retravailler avec Isabelle Huppert avec qui on venait de faire La Daronne. C’est allé beaucoup plus vite qu’on pensait. D’autant qu’en plus Isabelle pouvait facilement lui ressembler. Je lui ai fait lire le livre, et elle est restée impliquée pendant tout le scénario qu’on a écrit avec Fadette Drouard.

Il a été facile à financer ?

C’est sûr que quand vous commencez à touchez à des choses un peu touchy dans une période où en plus tout se complique pour le cinéma, ce n’est pas forcément évident… On a eu la chance de sortir de La Daronne qui avait bien marché et nous laissait un peu les coudée franches, surtout à partir du moment où Isabelle était à nouveau de la partie…. Ce ne sont pas des sujets faciles pour des financiers. C’est aussi sans doute un registre politique où l’on ne nous attendait peut-être pas, ce qui a pu créer la surprise, avec des gens qui nous ont suivi dès le départ comme Jean Labadie et Le Pacte.

C’est rare de trouver en plus dans un film français les noms réels de personnages publics impliqués dans un sujet aussi brûlant… C’était sans risque ?

A partir du moment où l’on voulait raconter l’histoire de Maureen Kearney et de personne d’autre, il était impossible de mettre des faux noms à tout le monde autour d’elle pour ne pas avoir d’ennuis… D’autant que c’est une syndicaliste un peu particulière avec 50 000 salariés… On a fait ce choix avec Bertrand Faivre le producteur dès le départ, en bétonnant le plus possible les choses avec des avocats.

« Je vais être prudent dans ce que je vais dire, mais je pense que ça commence à chauffer depuis que la bande annonce circule et que le film commence à être vu. »

jean-paul salomé

Ça faisait partie intégrante du projet, comme osent le faire encore les Américains et peut-être moins les Européens aujourd’hui, alors qu’on le faisait à une époque. Dans ces films-là, on mettait les noms, quels que soient les risques. Les films d’Yves Boisset ou de Costa-Gavras par exemple ont eu des problèmes de censure.

Maintenant je vais être prudent sur ce que je vais dire, mais je pense que ça commence à chauffer, depuis que la bande annonce est vue et que les gens commencent à en parler. Les vraies personnes, ce qui n’est pas anormal, ont envie de voir de quoi il en retourne…

La seule chose que je puis dire, c’est que j’ai été fidèle au livre et à l’enquête journalistique, en essayant d’être le plus efficace possible dans la narration. J’ai essayé d’être le plus carré possible pour que les gens comprennent les différents enjeux de cette histoire sans que ça ne devienne pour autant un dossier sur cette histoire.

Maureen Kearney a été très liée au film, même si elle nous a laissé une liberté totale quant à la manière de traiter cette histoire. Elle présente même parfois le film aujourd’hui, même si ça été dur pour elle au départ de se voir représentée et de revivre toute cette histoire, ce qui est bien compréhensible.

« Il n’y a pas eu d’omerta, cette histoire n’a pas été occultée, mais elle reste assez peu connue au regard des enjeux qu’elle pose. »

jean-paul salomé
Isabelle Huppert au téléphone dans La Syndicaliste de Jean-Paul Salomé.
Isabelle Huppert en Maureen Kearney. (photos Guy Ferrandis / Le Bureau films)

Vous parlez de la « manière » de traiter cette histoire. Jusqu’à quel point vous la vouliez politique ?

Je ne me suis pas vraiment poser cette question. Pour moi, il s’agissait de raconter cette histoire complètement dingue en la replaçant dans son contexte de la façon la plus honnête possible. Je voulais d’abord faire partager aux spectateurs cette histoire et les émotions que j’ai eues. La révolte en fait évidemment partie, quand on voit ce qu’on lui a fait vivre, même si Maureen est quelqu’un qui garde une foi inébranlable en la nature humaine.

Il n’y a pas eu d’omerta ou de secret, cette histoire n’a pas été occultée, mais elle n’est pas si connue eu regard des enjeux qu’elle pose. Ce sont ces rouages économiques, politiques, sociétaux que je voulais filmer de la façon la plus claire possible, en gardant au centre le portrait de cette femme traversée par toute cette affaire. Je n’y connaissais rien en nucléaire, je n’étais ni pro ni anti et il y a encore deux ans on nous expliquait au moment de faire le film que le nucléaire c’était fini…

Je ne voulais pas faire un film pro ou anti nucléaire, je voulais faire un film pro Maureen Kearney, et raconter son histoire à travers cet univers politique, dans des sphères assez hautes de l’Etat et de l’industrie. Je voulais filmer la façon dont cette femme comme un grain de sable enraye la machine, avant que la machine la broie…

Jean-Paul Salomé béret sur le tournage de La Syndicaliste.
Jean-Paul Salomé sur le tournage de La Syndicaliste. (photos Guy Ferrandis / Le Bureau films)

« Je ne voulais pas faire un film pro ou anti- nucléaire. je voulais faire un film pro Maureen Kearney.

jean-paul salomé

Vous avez gardé beaucoup de choses telles quelles ?

Oui, la plaidoierie de maître Hervé Temime au procès est exactement la sienne (incarné par le fabuleux Gilles Cohen, ndlr), et les paroles de la juge sont ses propres paroles. C’est bien ce qui est ahurissant ! L’acharnement que met cette femme à détruire cette autre femme est inouï. Evidemment, Maureen Kearney ne s’y attendait pas et s’est retrouvée piégée.

Elle pensait bénéficier d’être jugée par une femme. C’est tout le contraire qui s’est produit. C’est absolument horrible pour ce qu’a vécu Maureen, mais du point de vue cinématographique, c’est évidemment extraordinaire. Et je puis vous dire qu’on en a même retiré. Nous avions filmé l’intégralité de ce qu’elle a dit mot pour mot, ce n’était même plus réaliste… Jamais je n’aurais osé écrire ça !

Alors qu’elle est accablée par les hommes, elle pense qu’une femme va la sauver, et elle est pire qu’eux dans les questions qu’elle lui pose. La réalité est complètement délirante. On a tourné dans le même lieu avec en figurants les vraies gens qui avaient vécu la scène à l’époque.

A côté de l’intrigue politique, c’est aussi un thriller psychologique autour d’une femme en proie aux doutes autour d’elle. Comment dirige-t-on Isabelle Huppert dans un thriller psychologique ?

Elle vient avec tout ce qu’elle est, et je savais très bien que pour véhiculer le trouble, elle n’aurait pas beaucoup besoin de moi. Elle l’a vu tout de suite dans le personnage. Mais je tenais aussi à la vulnérabilité qu’elle montre au moment de la scène du procès par exemple, et à laquelle elle est sans doute moins habituée. Et elle y est allée !

C’est ce qui la rend incroyablement proche et directe pour les spectateurs, alors même qu’elle garde une part insaisissable. On comprend alors sa détresse. Nous avions besoin de retranscrire ces moments de doute pendant lesquels elle n’est pas crue, ce qui était évidemment plus difficile à regarder la première fois pour la véritable Maureen. Mais je crois que le film reste très clair avec ce qu’elle a vécue jusqu’au bout. »

La Syndicaliste de Jean-Paul Salomé. Sortie le 1er mars. Lire notre critique.

Isabelle Huppert en Maureen Kearney manteau bleu dans la rue dans La Syndicaliste.