C’est une histoire simple, mais pas franchement à la Claude Sautet. Celle d’un homme qui décide de se lancer sur la piste du meurtrier de sa fiancée afin de le soumettre à la même douleur et aux mêmes tortures. Il le laissera en vie avec un émetteur dans la bouche pour mieux le poursuivre et le terroriser à petit feu. Avec J’ai rencontré la diable, dans un style plus sec et plus rugueux que son époustouflant polar mélancolique A Bittersweet life, Kim Jee-Woon pousse de façon radicale la logique du film de vengeance jusqu’aux pires extrémités. C’est évidemment inconfortable pour le spectateur, ultra-violent, voire aux limites du supportable (le viol pédophile précédé du dialogue « Pourquoi je ne pourrais pas t’aimer, hein ? », vous voilà prévenu.e.s). Mais c’est surtout une étude impressionnante des sentiments primaires que génère la violence, avec elle ou contre elle.

Lee Byung-Hun, gueule d’ange…

La soif du mal

La première qualité de J’ai rencontré le diable est de peindre la monstrueuse banalité du mal. Le tueur en série peut surgir n’importe où, dans un bus scolaire, une voiture ou à l’hôpital. À chaque fois, Kim Jee-Woon réussit à provoquer de la fascination en court-circuitant la violence la plus brutale et les situations les plus quotidiennes. Avec un humour sang pour sans noir et ce sens du chaos typique du cinéma coréen, il réussit à renouveler l’attention du spectateur en variant constamment l’enchainement des meurtres (la géniale séquence du taxi est un modèle du genre). Indifférent à toute forme de culpabilité ou de souffrance, Choi-Min Sink compose dans la lignée d’Old Boy une des plus fascinantes ordures sadiques de l’histoire du cinéma. Presque débonnaire par moments, il réussit le prodige d’être toujours imprévisible alors même que ses intentions sont toujours les mêmes. Du grand art.

…Lee Byung-Hun, coeur de diable.

Gueule d’ange et cœur de diable

Mais ce qui fait la grandeur de J’ai rencontré le diable, c’est évidemment le face-à-face. Le face-à-face entre le tueur et sa victime, toutes deux habitées par une même soif du mal. L’effet de miroir est dévastateur d’autant qu’il est porté par deux grands acteurs. Acteur fétiche de Kim Jee-Woon, Lee Byung-Hun apporte à son personnage sa gueule d’ange cireuse, faussement impassible qui ne fait évidemment que renforcer son ambiguité. « A la première lecture, j’ai pensé que l’histoire et mon personnage étaient assez simples, explique l’acteur. J’avais tout faux. Au cours du tournage, le plus éprouvant pour moi a été de dévoiler toutes ces émotions et changements quasi imperceptibles, qui mènent de la rage à l’indifférence absolue, chez un être obsédé par la vengeance. » Après avoir été le gangster qui tombe amoureux de sa cible dans A Bittersweet life, il trouve ici son plus grand rôle d’amoureux transi, incarnant une démence glacée dévastée par la douleur, devenu le diable de lui-même. Ultraviolent, immoral, sanguinolent, J’ai rencontré le diable est le film de vengeance ultime, à déguster dans la fraîcheur du samedi soir.

Luc Hernandez


J’ai rencontré le diable de Kim Jee-Woon (Corée du Sud, 2h22) avec Lee Byung-Hun, Choi-Min Sink, Oh San-Ha… Samedi 3 juillet à 22h au Lumière Terreaux, Lyon 1er, précédé de Joint security area de Park Chan-Wook à 20h. Réserver.

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