Au début de son précédent film, Us, c’étaient les lapins. Cette fois, c’est un chimpanzé, ensanglanté, en prologue, qui sera la prémisse d’une scène géniale, unique flashback situé au beau milieu du film. Passé maître pour tisser la toile d’un grand divertissement dans une maestria de mise en scène, pour son troisième film, Jordan Peele retrouve Daniel Kaluuya, le protagoniste de Get Out, et distille ses indices.

Daniel Kaluuya, en plein néo-western dans Nope de Jordan Peele.

Au début, on n’y croit pas trop, en supportant comme lui la spontanéité un peu trop relou de sa soeur (Keke Palmer), alors qu’il reprennent en orphelins le ranch familial. Lui est plutôt du genre flegmatique, à savoir dresser les chevaux sur les tournages… Jusqu’à ce que des « phénomènes » anormaux se produisent, comme aurait dit un certain M. Night Shyamalan. Et cette fois on va commencer à y croire.

Steven Yeun, un représentant des minorités dans Nope de Jordan Peele.
Steven Yeun, génial acteur coréen vu dans Okja de Bong Joon-Ho ou Burning de Lee Chang-Dong.

Nope, créature céleste


Car Nope est un film de leurres destinés à célébrer tous les pouvoirs du cinéma, du sang déversé sur les escaliers en hommage au Shining de Kubrick, jusqu’à Steven Yeun, fabuleux acteur coréen aperçu chez Bong Joon-Ho ou dans Burning de Lee Chang-Dong. Ici, il campe un drôle de cowboy aux enfants facétieux, faisant son show au quelque public qui reste dans le désert californien…

Mais au-delà d’une célébration du cinéma aux séquences souvent époustouflantes, ce divertissement fantastique au sens propre croisant ovnis, teenage comédie ou western, est surtout un portrait alternatif et paradoxalement très réaliste de l’Amérique d’aujourd’hui. Précisément à travers celles et ceux qui lui étaient restées en marge, du cowboy immigré à la soeur lesbienne en passant par le black mort en laissant son ranch à ses enfants.

Trouée dans le ciel et rencontres du Troisième type dans Nope.

La grande qualité de Jordan Peele, c’est de laisser ces pistes de réflexions politiques implicites, tout en les intégrant à un divertissement d’un nouveau genre, « délicieusement débile”, à la recherche de “l’image impossible”. Visibilité des minorités, relecture des mythes hollywoodiens et américains, nouvelle histoire du cinéma à partir des images de Muybridge de l’homme noir à cheval sur lequel s’inscrit le générique.

Nope, phénomènes du Troisième Type

Avec en prime la satire sociale du paraître et du tout-technologique, ça fait parfois beaucoup sur 2h10 dans ce qu’on pourrait appeler ces Phénomènes du Troisième type, quelque part entre Shyamalan et Spielberg. Mais ce Nope titré comme un “ben non” adressé à l’industrie hollywoodienne qui voudrait toujours plus de formatage, reste un objet cinématographique non identifié hautement jouissif et poétique.

Surtout lorsqu’une créature céleste mi-aérienne mi-aquatique qui aspire tout ce qui passe vient flasher tout ce beau monde d’une lanterne magique pendue à un nuage, comme un premier cliché des frères Lumière, si seulement ils avaient été équipés d’un drone… Splendide.

Nope de Jordan Peele (EU, 2h10) avec Daniel Kaluuya, Keke Palmer, Steven Yeun, Brandon Perea, Michael Wincott… Sortie le 10 août. Désormais disponible sur Netflix.

Jordan Peele sur le tournage de Nope, son troisième film.
Jordan Peele sur le tournage de Nope.