La « réalité actuelle« . C’est par ces deux mots que se termine ce thriller (à la polonaise), hyper-réaliste, signé d’un réalisateur né en 1984, un an après les faits qu’il raconte… Jan P. Matuszynski (déjà remarqué pour la série The King sur Canal, dans la Varsovie des années 30) n’aura de cesse que de démonter les mécanismes quotidiens du l’horreur arbitraire pour rendre justice aux personnages de cette histoire vraie, au temps de Solidarnosc et Jaruzelski. A partir d’un banal contrôle d’identité d’un lycéen qui vient d’avoir son bac à l’écrit, avant de mourir devant son pote (seul personnage, encore vivant, dont l’identité a été changée) sous les coups de la police d’Etat, toujours prompte à démontrer la perversité de sa force. Pas de pathos, pas de héros ni de martyre dans ce film choral remarquable de tenue et de tension, avec une reconstitution soignée, alternant caméra immersive et plans composés, dans un format Scope qui n’oublie jamais de faire du cinéma (la post-production a été réalisée chez Fire House / VFX studio à Champagne-au-Mont-d’Or en région lyonnaise). On aura rarement vu de façon aussi palpable l’oppression du système communiste dans chaque attitude, sans qu’aucun des personnages ne perde son libre arbitre. De ce point de vue, Varsovie 83, une affaire d’Etat (Ne pas laisser de trace, en version originale) est plus proche du cinéma roumain dans sa façon de coller aux basques de ses personnages que du suspense occidental de La Vie des autres, auquel on songe évidemment lors des écoutes et filatures. Il articule narration sans temps mort et témoignage historique dans un modèle d’écriture, un peu comme une série qu’on aurait compressée d’une traite en 2h40, rythmé par la BO impeccable d’Ibrahim Maalouf (en concert au Transbordeur le 10 décembre).

L’arrestation des deux amis.
L’identification.
Le procès.

Scènes impressionnantes au temps de Solidarnosc

Mais c’est en faisant jaillir des scènes atrocement banales, comme échappées du quotidien de l’époque, aussi éprouvantes qu’impressionnantes, que ce Varsovie en impose. La reconstitution forcée pour accuser des ambulanciers d’avoir battu le blessé qu’ils n’ont que transporter pour tenter de le sauver est proprement stupéfiante, tout comme l’atroce humiliation dont est victime la mère parange le temps d’un repas anodin, par une autre femme vendue au système de son mari… Jusqu’à ce que le même mari, cette fois en uniforme, s’apprête à passer devant son fils assis dans un couloir du tribunal sans même détourner la tête. Les séquences humainement les plus effroyables retournent au quotidien le plus incident, et la mère, Barbara Sadowska, désespérée, l’a bien compris. Poétesse proche de Solidarnosc, elle sera accusée de tous les maux lors d’un procès truqué, animé par une vieille bique de procureure encore plus maquillée que ses crimes. Mais elle pourra dire sa vérité à la sortie, devant les caméras, depuis que l’affaire de son fils Grzegorz Przemyk a été rendu publique, notamment grâce au prêtre, Jerzy Popieluszko, le temps d’une messe géante. Il sera assassiné quelque temps plus tard, comme on peut le voir dans Le Complot d’Agniezska Holland (1988), tourné à l’époque à Villeurbanne dans le quartier des Gratte-Ciels. Belle continuité que ces deux films polonais aient été co-produits par Auvergne Rhône-Alpes cinéma.

Varsovie 83, une affaire d’Etat de Jan P. Matuszynski (Pol, 2h40) avec Tomasz Zietec, Sandra Korzeniac, Aleksandra Koznieczna, Jacek Braciak, Lukasz Gawronski… Sortie le 4 mai.

Sandra Korzeniac incarne Barbara Sadowska.