Premier film et coup de maître : ancien comédien de la troupe du TNP, Xavier Legrand signe avec Jusqu’à la garde un thriller sur les violences conjugales, aussi impressionnant dans son écriture cinématographique que précis dans sa mécanique psychologique.

Commençons par la fin : vous osez aller au-delà d’un simple film social sur les violences conjugales, touchant au thriller à l’américaine dans la dernière scène du film, ce qui est assez rare dans le cinéma français…

Xavier Legrand : « Oui, l’idée du thriller m’est venue très tôt. La question des violences conjugales est très actuelle, très sociale et souvent abordée du point de vue des faits divers. Je voulais vraiment pouvoir toucher tous les publics et la faire entrer dans un genre de cinéma à part entière, mais sans pour autant utiliser les clichés du thriller. J’ai choisi par exemple de ne pas utiliser de musique. On a fait en revanche un gros travail sur les sons du quotidien qui reviennent parfois jusqu’à en être angoissants : le moteur de la voiture, la ceinture de sécurité, des sons réels qui sont autant d’ingrédients de tension. Pour préparer le film, j’ai fait un très gros travail de documentation, j’ai rencontré des victimes comme des groupes de parole d’hommes violents, mais je voulais ensuite digérer ce travail dans un vrai film de fiction. Or les violences conjugales conduisent réellement à des situations extrêmes comme celle qu’on voit à la fin du film. Le genre du thriller me semblait donc pertinent pour traduire cette terreur. Le pari, c’était de le faire surgir de la réalité, sans avoir besoin d’effets inutiles. Même si ça aboutit effectivement à une quasi-scène de film d’horreur, parce que c’est le cas.

« Le pari, c’était de faire surgir le thriller de la réalité, sans avoir besoin d’effets inutiles. »

Xavier legrand

Être comédien vous a-t-aidé à transmettre cette tension dans la direction d’acteurs ?

Oui, c’était le plus important pour moi, que cette tension soit palpable tout du long. C’est là que mon expérience de comédien m’a beaucoup aidé effectivement. Il y a des réalisateurs qui ont peur des acteurs et qui leur imposent leur vision sans vraiment dialoguer. Pour ces situations-là, j’avais besoin d’être en complicité. C’était très important de parler le même vocabulaire qu’eux même si Léa et Denis ne fonctionnent pas de la même façon. Léa Drucker est très concentrée et n’a besoin que de bornes de temps à autre. Denis Ménochet avait plus besoin de comprendre psychologiquement les motivations de son personnage, ce qui est naturel : son personnage est plus dur à assumer pour un comédien. Le fait d’avoir fait déjà le court-métrage ensemble (Avant que de tout perdre, 2013, ndlr) permettait aussi d’être plus à l’aise. Mais dès que je disais “coupez!”, je venais refaire la scène avec eux en précisant les choses. On ne peut pas se contenter d’être un spectateur surplombant pour diriger un thriller, en tout cas pas moi.

Le titre du film est à double sens, avec l’idée du combat et de la garde d’enfant…

Oui, c’est la garde d’enfants bien sûr, qui fait l’objet de l’affrontement du couple. Mais « jusqu’à la garde de l’épée », c’est une expression qui veut dire aussi aller jusqu’au bout, c’est une violence extrême. Mais c’est aussi une expression grivoise qui veut dire « gorge profonde ». J’aimais bien cette polysémie qui contenait tous les enjeux du couple.

Vous étiez comédien dans la troupe du TNP à Villeurbanne avant de devenir réalisateur, qu’en avez-vous gardé ?

Quand j’ai commencé de penser à ce projet vers 2009 j’étais d’ailleurs en tournée avec la troupe du TNP, j’écrivais déjà dans ma chambre d’hôtel. Je suis un comédien qui a eu une formation classique, par le Conservatoire. J’ai d’abord voulu aborder les violences des tragédies antiques en me demandant quels seraient leurs équivalents aujourd’hui. La violence familiale s’est imposée de suite comme une évidence.  En me mettant à écrire, je me suis aperçu que je n’avais pas de langue pour le théâtre, mon écriture était beaucoup trop visuelle. J’ai donc commencé par un court-métrage, qui devait être une trilogie avec les mêmes personnages : la fuite, le divorce puis le retour. J’ai finalement regroupé les deux derniers volets en un long métrage.

L’expérience de comédien de théâtre est a priori assez éloigné du thriller, vous vous êtes découvert une nouvelle facette ?

L’expérience du théâtre est moins éloignée qu’on ne pourrait le penser du cinéma, surtout avec Christian Schiaretti. C’est quelqu’un qui travaille beaucoup la dramaturgie des pièces dans sa mise en scène et qui nous y associe très tôt en tant qu’acteur pour avoir une une vision globale de l’oeuvre. On en ressort avec une colonne vertébrale de l’oeuvre au-delà des simples questions d’interprétation. Les questions dramaturgiques rejoignent donc celles d’un scénario, du point de vue à la construction. Mais c’est vrai que je n’avais pas du tout prévu de faire du cinéma. Je suis le premier étonné de l’accueil que reçoit le film, et donc encore plus heureux !”

Propos recueillis par Luc Hernandez