La Bibliothèque municipale de la Part-Dieu regorge de trésors, notamment dans son fonds musical, datant majoritairement des XVIIe et XVIIIe siècles et principalement porté vers l’Italie, pour mieux tourner le dos alors à Versailles… C’est là que Franck-Emmanuel Comte, directeur du concert de l’Hostel-Dieu, avait repéré un manuscrit en parfait état d’un certain “Luigi du Manssa”, parfois aussi orthographié “Luigi Da Mancia”. La partition est étonnante, elle comprend des triples parties de violoncelle rares pour l’époque, ou des séquences de trompettes bouchées pour faire entrer “la Mort” – un des six personnages de l’œuvre.

Création mondiale d’un oratorio lyonnais

Franck-Emmanuel Comte sollicite alors les services d’un spécialiste de la musique italienne de cette époque, Marco Bizzarini, musicologue à l’Université de Naples. Il retrouve assez vite la trace du signataire de ce manuscrit, Luigi Da Mancia, aujourd’hui oublié, mais compositeur très connu en son temps, contemporain de Corelli ou Alessandro Scarlatti, auteur d’opéras comme Tito Manlio ou Partenope et de musique de scène aussi bien en Italie qu’en Allemagne.

Des mois d’enquête

Marco Bizzarini prend la peine de retrouver les indices stylistiques de Da Mancia, comme l’utilisation privilégiée du théorbe ou la coloration orchestrale, particulièrement spectaculaire, à travers une formation d’une trentaine de musiciens disposés en deux choeurs comme pour mieux assurer un effet “stéréo”. Car les oratorios étaient alors joués pendant le Carême à la place des opéras et dépourvus de mise en scène, c’est la musique elle-même qui assurait le divertissement et la fonction dramaturgique, à travers une orchestration d’autant plus inventive. A travers les indices biographiques et stylistiques dont il dispose, Marco Bizzarini a pu dater ce Paradis perdu à Lyon de la toute fin du XVIIe siècle, sans doute créé à Modène comme d’autres œuvres du catalogue lyonnais. Mais si le manuscrit conservé à Lyon est unique, il n’en est pas moins une copie – avec des erreurs de copistes qui travaille à la ligne – et non pas une partition autographe du compositeur.

Une ode à la nature pour double orchestre

Conforté par l’authentification de Marco Bizzarini, Franck-Emmanuel Comte peut alors se plonger plus avant dans la partition – achevée, malgré les paroles manquantes du chœur final. Il découvre une musique chatoyante, mélodique, richement orchestrée, qui constitue dans sa première partie une déclaration d’amour à l’environnement de la nature qui ne peut faire qu’écho à un public d’aujourd’hui, en plus d’être des plus accessibles. D’où le titre de baptême qui ne figurait pas sur le manuscrit : Il Paradiso perduto. Un véritable jardin d’Eden qui conserve aussi ses propres singularités : le dialogue entre Adam et Eve est écrit pour deux femmes chanteuses, avec un Adam à la voix plus aiguë que celle d’Eve, tandis que la basse du Serpent vient semer le trouble entre les personnages sous le regard de Dieu et de l’Ange. Le résultat qu’on pourra entendre en première mondiale à Lyon fait moins de 2h et promet la redécouverte d’un compositeur reconnu par ses pairs à l’époque et dont il ne subsiste pratiquement plus aucun enregistrement aujourd’hui. C’est dire le caractère exceptionnel de ce projet lyonnais qui se prolongera par un enregistrement et, on l’espère, une tournée en Italie et au-delà.


Il Paradiso perduto de Luigi Da Mancia, création mondiale par le Concert de l’Hostel-Dieu, direction musicale Franck-Emmanuel Comte. Lundi 21 mars à 20h à l’Auditorium de Lyon, Lyon 3e. De 8 à 39 €. Photographie : Julie Cherki.