Comme toujours avec Escaich, il y a des merveilles de musique dans Shirine. Un croi­se­ment jusqu’à l’ivresse entre la méca­nique sympho­nique – plus effi­cace parfois qu’une musique de film holly­woo­dienne – et les instru­ments tradi­tion­nels perses, créant un impres­sion­nisme orien­tal capi­teux inédit, jouant sur les timbres, les inter­valles et un rythme narra­tif constam­ment inven­tif. Mais malheu­reu­se­ment, le miracle de Claude – le premier opéra de Thierry Escaich sur un livret de Robert Badin­ter contre la peine de mort – n’aura pas lieu. La faute avant tout à un livret poéti­sant sans but d’Atiq Rahimi, alignant « l’ai­mance » à la place de « l’amour » plusieurs dizaines de fois, et autres péri­phrases sans fond. Il lui manque surtout un point de vue, débu­tant par la bouche cousue d’un peuple afghan muselé en costumes tradi­tion­nels, avant de prendre du recul avec le folk­lore et la poli­tique pour nous perdre dans les méandres d’un histoire « d’ai­mance » sans véri­table construc­tion ni enjeu.

La couple de Shirine et Khos­row (Jeanne Gérard et Julien Behr). (photos Jean-Louis Fernan­dez)

Un entre-deux jusqu’au nulle part…

Ne voulant ni vrai­ment épou­ser le poème perse du XIIe siècle dont il s’ins­pire ni vrai­ment s’en affran­chir, le livret de Rahimi en reste au stade d’un exotisme assez creux, comme écrit hors de scène. La musique s’en­ivre toute seule donc, avec des séquences instru­men­tales souvent inspi­rées, et la produc­tion de Richard Brunel est elle aussi condam­née à cet entre-deux empê­chant tout véri­table drame : évoquer poli­tique et tradi­tion pictu­rale à distance dans une mise en abîme d’un plateau tour­nant au milieu de la scène dans la première partie, aux décors néo-bour­geois passe-partout. La pirouette finale renvoyant la légende à son incer­ti­tude (tou était vrai, tout était faux, peu importe en substance), finit par accroître un senti­ment d’ina­chevé dépourvu d’émo­tion.

La sculp­ture géante qui sert de décor dans la seconde partie.

La fougue des inter­prètes

Reste la fougue d’in­ter­prètes méri­tants, Julien Behr plus lyrique que jamais et Jean-Sébas­tien Bou toujours aussi convain­cant que dans Claude, et quelques belles images comme celle du couple se dédou­blant d’une porte à l’autre en guise de prémisse érotique (autre piste avor­tée), ou une sculp­ture géante avançant vers le public qui a au moins le mérite d’ha­bi­ter enfin la scène. Malheu­reu­se­ment pour aligner un nouveau poncif, celui de l’art éman­ci­pa­teur. D’une part, on n’est pas sûr qu’il fallait être prix Goncourt pour nous l’ap­prendre, d’autre part, mani­fes­te­ment, à l’opéra, sur cette produc­tion, ce ne sera pas le cas tous les soirs…

Shirine de Thierry Escaich. Mise en scène Richard Brunel. Direc­tion musi­cale Franck Ollu. Jusqu’au 12 mai à 20h (dim 16h) à l’Opéra de Lyon, Lyon 1er.