Rêve parti, la chan­son éponyme, est une chan­son de rupture avec votre précé­dent entou­rage profes­sion­nel. Si on ne le savait pas, on pour­rait penser qu’il s’agit d’une chan­son de rupture amou­reu­se… 

Lescop : Parce que c’en est une, quelque part… Je suis quelqu’un de fidèle, en amour comme en amitié. Donc quand je suis déçu, c’est une grosse décep­tion. Il m’a fallu du temps pour termi­ner cette histoire. J’ai traversé une période de doute, comme une petite traver­sée du désert.

J’ai pris ce temps, j’ai fait d’autres choses aussi, parce que j’aime bien l’idée d’être protéi­forme, de faire du cinéma, un peu de théâtre, d’écrire pour d’autres gens, de monter un autre grou­pe… La meilleure manière d’em­pê­cher l’ai­greur ou le cynisme de s’ins­tal­ler en moi, cela a été de diver­si­fier les projets, les médiums, les façon de m’ex­pri­mer.

… jusqu’à reve­nir aux sources, en tant que Lescop.

Oui. C’est mon avatar, mon alter-égo, ma prin­ci­pale façon de m’ex­pri­mer, la colonne verté­brale de mon parcours d’ar­tiste. Tout s’ar­ti­cule autour de ça. Rêve parti est un disque très person­nel, sans doute mon disque le plus person­nel.

Photos : Mathieu Tessier.

L’un de vos nouveaux colla­bo­ra­teurs, Thibaut Frisoni, est aussi l’un des grands arti­sans des disques de Bertrand Belin. Est-ce qu’il vous a inspiré pour ce disque ?

Lescop : Bertrand et moi avons en commun d’être parfois dur à saisir. On fait partie d’une caté­go­rie d’ar­tistes qui parlent un peu par énigmes. Savoir que Thibaut était rompu à l’exer­cice était forcé­ment un gage de qualité ! (rires) Parce que c’est impor­tant pour moi. J’ai toujours pensé que le rôle d’un artiste était davan­tage de poser les bonnes ques­tions que d’ap­por­ter les réponses. Et qu’une énigme vaut parfois mieux que la réso­lu­tion de l’énigme.

L’autre jour, je discu­tais avec quelqu’un qui est soufi qui me disait : « dans une équa­tion mathé­ma­tique, il y a toujours au moins une incon­nue et pour la résoudre, il faut arri­ver à l’iso­ler. La foi, c’est l’in­verse, c’est quand tu acceptes de faire passer l’in­con­nue de ton côté de l’équa­tion. » Faire entrer l’in­con­nue litté­ra­le­ment en soi et ne pas se forcer à résoudre l’équa­tion. Cela m’a beau­coup touché. Dans le travail artis­tique, pour moi, cette approche est essen­tielle.

« Tout le monde cherche à affir­mer des choses, tout le temps. Pour moi, s’il y a bien un dernier endroit où l’on doit défendre les vertus du doute, c’est dans le travail artis­tique. »

LESCOP

On parlait tout à l’heure du « doute subi » de la traver­sée du désert et on arrive à un doute bien plus posi­tif, construc­tif, créa­tif…

Lescop : Mais oui ! On dit souvent que la société d’aujourd’­hui manque de nuance, mais c’est parce qu’elle manque aussi cruel­le­ment de doute. Tout le monde cherche à affir­mer des choses, tout le temps. Pour moi, s’il y a bien un dernier endroit où l’on doit défendre les vertus du doute, c’est dans le travail artis­tique.

Les chan­sons qui apportent des solu­tions toutes faites et nous disent qu’il faut faire ceci ou cela… Ça me terri­fie. Je ne dis pas qu’il ne faut pas d’ar­tistes enga­gés, j’aime beau­coup Joan Baez par exemple. Mais je crois qu’on peut être engagé et lais­ser subsis­ter en soi, et dans son œuvre, une part de doute.

Vous avez hâte de retrou­ver la scène ?

Lescop : Complè­te­ment ! D’ailleurs à la base, c’est mon but : je fais des disques pour pouvoir faire des concerts ! D’abord, parce que j’aime le fait d’être sur la route. Comme je n’ar­rive jamais à trou­ver ma place dans la vie, c’est super, pour moi. (rires)

Être dans un camion, qui avale des kilo­mètres à vive allure, entre un point A et un point B, sur une route pleine de promesses, c’est un endroit assez évident et facile. Mais surtout, la scène, c’est là qu’on en apprend le plus sur les chan­sons. C’est là qu’elles résonnent, qu’elles livrent leur vérité, qu’on avait même parfois pas tout à fait saisie soi-même, au moment de les écrire. »