Il fait des photos à partir des oeuvres du musée des Beaux-arts de Lyon : portrait, paysages, natures jamais mortes, Eric Poite­vin est un grand photo­graphe qui entre au musée.

Comme il existe des peintres d’ate­lier, qui ne peignent pas en plein air, Eric Poite­vin est avant tout un photo­graphe d’ate­lier. Il travaille à la chambre, instru­ment de prises de vues qui est au compact numé­rique ce que le camion grue est à la trot­ti­nette. D’où un travail anti­cipé, construit, immo­bile, qui prend son temps et ne répugne pas aux grands formats… Très chiadé, pour­rait-on ajou­ter de façon triviale. Ce photo­graphe du temps long a été invité par le Musée des Beaux-Arts à mettre en rela­tion son travail et des œuvres du fonds. Plusieurs photos ont été produites spécia­le­ment pour l’ex­po­si­tion.

Réin­ter­pré­ta­tion de l’art du portrait : Sans-titre, 2012, par Eric Poite­vin. © ADAGP, Paris, 2022

Un grand photo­graphe au musée Saint-Pierre

Le résul­tat est inat­tendu. Eric Poite­vin a créé des passe­relles qu’on n’au­rait pas imagi­nées d’em­blée. Ainsi, il a photo­gra­phié les chants de toiles dépour­vues d’en­ca­dre­ment. Le chant étant la tranche du tableau. C’est la partie qu’on ne montre jamais, pour­tant elle existe, faite de couleurs et de coulures, habi­tuel­le­ment dissi­mu­lées au spec­ta­teur. Les tableaux, des œuvres de la seconde moitié du XXème siècle tirées des collec­tions perma­nentes (Olivier Debré. Bleu pâle de Loire, Eugène Leroy. Grand Adam et Eve etc. ) vus de profil sont diffi­ci­le­ment iden­ti­fiables. Photo­gra­phiés à plat, à l’ho­ri­zon­tale sur un support blanc, devant un fond blanc, ils ne dessinent plus qu’une ligne abstraite, très esthé­tique, radi­ca­le­ment mini­ma­liste. Cela paraît être simple au départ, mais il fallait y penser.

Eric Poite­vin, Sans titre, 2005. © ADAGP, Paris, 2022

Viande froide pour se mettre au frais

La perfec­tion formelle des sujets abor­dés se teinte parfois d’hu­mour, quand le thème, très clas­sique, des vani­tés (ces crânes qui nous rappellent notre statut de mortels) est abordé. Le photo­graphe dédra­ma­tise l’os­suaire en acco­lant à l’ex cibou­lot des ballons de foot et de basket. En revanche, en regard des scènes de gibier de Jean Pierre Xavier Bidault (XIXe) et Franck Snyders (XVIe) montrant l’opu­lence et les joies de la chasse, il adopte une atti­tude radi­ca­le­ment oppo­sée. A la surcharge des tableaux il oppose des fonds blancs, mettant cruel­le­ment en valeur d’au­then­tiques natures mortes, vrai­ment mortes : de jolis petits oiseaux décé­dés pendus par la patte à un fil, un cerf pesant sur le sol de tout son poids de défunt, ou un autre encore, pendu au dessus d’une mare de sang. Dans ce dialogue, riche et intel­li­gent, Eric Poite­vin aborde des sujets aussi variés que le voile dans la statuaire, le portrait, le nu, la plante (nue, elle aussi, débar­ras­sée de son pot de fleur), les roseaux, Zurba­ran ou les paysages d’Écosse. Cette expo­si­tion, para­doxa­le­ment aussi hété­ro­gène que cohé­rente, remet la photo­gra­phie au cœur de l’his­toire de l’art. Vous avez jusqu’à fin août, et c’est clima­tisé. François Mailhes

Eric Poite­vin. Invité. Jusqu’au 28 août 2022 au Musée des Beaux-arts. 20, place des Terreaux, Lyon 1er. 8 €.

Eric Poite­vin, Sans titre. © ADAGP, Paris, 2022