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Elle l’a eu ! Brigitte Giraud obtient le prix Goncourt ! Peu de livres nous auront autant touché que Vivre vite (Flammarion), livre de contre-deuil qui conjure la fatalité d’un accident de moto dans des hypothèses rock’n’roll égrenées en courts chapitres intitulés « Et si… ». Le grand livre d’un amour qui ne finit pas, portrait d’un homme à travers son époque et sa musique. Le 11e de notre auteure lyonnaise préférée. Entretien réalisé il y a quelques jours, juste avant son prix.

Votre livre A Présent il y a 20 ans était un livre sur la sidération face à l’accident qui a coûté la mort à votre compagnon. J’ai le sentiment que Vivre Vite est davantage un livre de libération par la fiction, comme un livre de contre-deuil…

Brigitte Giraud : « Je suis heureuse que vous parliez de « contre-deuil » car c’est un livre que j’ai voulu tendu par la force de vie. Je ne voulais pas non plus m’enfermer dans l’intime, je voulais regarder de très près ce qu’est une vie en faisant aussi le portrait d’une époque et de ce moment lié à un âge dans lequel on construit tout. Tout va très vite justement, et l’on oublie que vivre est dangereux. Je voulais que ça pulse, d’où ce rapport permanent à la musique, pour pouvoir ralentir à la fin, recueillir son portrait. Tout est lié dans le livre, le portrait de Claude bien sûr, mais aussi la façon dont le moteur à explosion au XXe siècle a changé le mythe autour de l’homme et de la virilité…

Ce roman de contre-deuil, était-ce une façon de se débarrasser par la fiction d’une mort qui colle à la peau plus durablement que la vie ?

Je ne sais pas… Je ne crois pas. Je n’ai jamais cru à un moment d’apaisement ou à une façon définitive de tourner la page. La vie est une superposition permanente de paradoxes. J’avais besoin d’organiser des obsessions sans fin en petits chapitres, comme des dominos ou un puzzle pour refaire le chemin après coup et donner à cette histoire la possibilité de se terminer autrement. C’est vraiment un livre de conjuration, le portrait d’un homme en ombre portée. J’avais d’abord conçu le livre en deux parties avec 200 pages de plus sur le deuil justement, avec huit pages blanches centrales sur l’indicible. Je n’arrive pas à écrire sur la douleur. Mais maintenant que j’ai fini la conjuration, sans doute que je vais devoir être davantage dans l’acceptation… Mais je ne suis pas encore capable de l’éprouver, et ne suis pas encore assez au calme pour savoir si cette seconde partie existera un jour à part entière. J’écris toujours plus que je ne publie.

« C’est un livre de conjuration, que j’ai voulu tendu par la force de vie. J’ai toujours peur d’une forme d’alanguissement. Je voulais que ça pulse, d’où ce rapport permanent à la musique. »

BRIGITTE GIRAUD

C’est d’ailleurs étonnant parce que vous avez avez toujours eu une grande économie d’écriture, une façon de résoudre ces obsessions dans leur forme la plus simple avec une grande justesse, sans épanchement, à nu…

Le mot “nu” ou “nudité” me convient très bien. J’ai toujours peur d’une forme d’alanguissement. Camus disait “Un homme, ça s’empêche”. Pour moi l’écriture est une façon d’empêcher les digues de se rompre en touchant au coeur une sorte de vérité qui peut être effrayante. On a tous des vies extraordinaires mais ça ne suffit pas à faire un livre. C’est un défi d’employer le bon adjectif ou le mot “virilité”. C’est pour ça que j’écris plus que je ne publie et que j’ai mis 20 ans à écrire ce livre. Ce n’est qu’après coup que je me suis rendue compte à quel point il s’agissait d’une histoire d’amour. Alors que c’est évident.

Vous utilisez d’ailleurs le mot de « virilité » entre guillemets dans la très belle scène dans laquelle Claude va chercher votre enfant à l’école, pour montrer qu’il restait père et homme…

Oui, Dominique A (dont Brigitte Giraud a accompagné l’édition du premier livre, ndlr) parlait de « l’impossible virilité« . Dans notre société, on passe souvent sans nuance de l’impossibilité d’être viril à l’encouragement à l’être trop. J’ai souvent travaillé sur la fragilité liée au masculin, comme dans Jour de courage ou Nous serons des héros. L’écriture oblige à être précis et je voulais montrer à travers le portrait de Claude qu’on pouvait être père sans perdre de sa superbe ou de sa sensualité. Ce sont tous ces paradoxes que je souhaitais éclaircir à travers lui et non pas seulement relater une histoire particulière. Je voulais que l’intime soit tout le temps lié au collectif.

« J’aime les mecs sur scène, j’adore ce truc brut, nu, très viscéral, très sensuel, d’un homme derrière un micro qui semble dire : ceci est mon corps. »

BRIGITTE GIRAUD

Vivre vite est baigné des musiques de Claude. Si vous aviez une bande-son aujourd’hui dans la lignée de celle de Claude, quelle serait-elle ?

J’écoute toujours énormément de musique, et c’est souvent comme si j’écoutais aussi pour lui. J’aime particulièrement The Blaze et leur titre Territory avec de jeunes Arabes sur un toit à Alger qui dansent sur une musique electro dont ils sont privés, comme un retour impossible… C’est un peu mon hymne… (Brigitte Giraud est née à Sidi-Bel-Abbès près d’Oran en Algérie, ndlr). La Route du Rock à Saint-Malo reste un endroit de découvertes. J’aime beaucoup aussi les Viagra Boys. J’aime les mecs sur scène, j’adore ce truc brut, nu, très viscéral, très sensuel, d’un homme derrière un micro qui semble dire : “ceci est mon corps !” (rires)

Dans une scène très drôle, vous faites allusion aux provinciaux qui vont à Paris et ne savent pas où dormir sans que les Parisiens ne s’en rendent compte. Vous êtes finaliste du prix Goncourt et du prix Femina (entretien réalisé vendredi 28 octobre, ndlr). Que gardez-vous de ce sentiment provincial par rapport aux prix ?

Là aussi il s’agit d’une autre époque ! C’est moins vrai aujourd’hui, j’ai appris à m’organiser depuis le temps que j’écris (rires), et j’ai un éditeur reconnu qui m’accompagne. Mais pour avoir été déjà sur la liste finale de nombreux prix, je connais très bien ce que c’est d’aller au rendez-vous de 13h, de ne pas être choisie et d’être laissée en rade par tout le monde avant de devoir reprendre son train pour Lyon… Ce qu’aucun Parisien n’imagine sur place. Je voulais m’amuser de ce paradoxe. Heureusement, aujourd’hui je n’ai plus besoin de crécher chez une copine, même si je ne me fais aucune illusion sur les prix… »

Propos recueillis par Luc Hernandez

Vivre Vite de Brigitte Giraud (Flammarion). Lire notre critique.

Le prix Goncourt a été remis à Brigitte Giraud jeudi 3 novembre. Le prix Femina sera décerné lundi 7 novembre.

Le clip de The Blaze qui est un peu « l’hymne » de Brigitte Giraud.