C’est devant un public assis et dans le Grand Théâtre de Fourvière qu’a eu lieu le Défilé de la Biennale de la danse ce samedi 5 juin. Une première représentation avant les deux prévues ce dimanche après-midi, dans un format bien particulier : à la place du traditionnel défilé à travers Lyon, la Biennale a concocté en association avec les Nuits de Fourvière un spectacle en quatre parties, accessible uniquement aux familles des artistes, Covid oblige. Une édition exceptionnelle, adaptée aux contraintes sanitaires, mais non moins festive. Les troupes de danseurs sont ravis de retrouver la scène et leur joie est contagieuse ! Tout comme leur énergie qui a gagné les gradins du site antique, d’où ont fusé youyous et acclamations tout au long du spectacle. Fil rouge du Défilé, les marionnettes géantes de la compagnie Les Grandes Personnes ont proposé, en préambule de l’événement et entre chaque temps forts, plusieurs tableaux mettant à l’honneur la presse indépendante africaine. Tantôt emportés par le vent comme des cerfs-volants, tantôt froissés en une énorme sphère faisant office de ballon de foot, les pages des journaux valsent et rebondissent sur scène tandis que plusieurs personnages représentants la diversité du continent africain tentent de les attraper.

La joie dansée aux couleurs de l’Afrique.

Une Afrique puissante et inventive à l’honneur

Car c’est sous le signe de l’Afrique qu’est placée cette 19eme édition de la Biennale de la danse, en échos à la saison Africa 2020, prolongée sur 2021 pour pallier les frustrations sanitaires. Quatre chorégraphies courtes mélangeant danseurs de la métropole lyonnaise et du continent et faisant la part belle aux chorégraphes africains ont ouvert le bal. Les premiers danseurs ont déboulé sur scène comme une vague emportant tout sur son passage dans une explosion de musique, de couleurs et de cris de joie. Afrique Monde de Massidi Adiatou ouvrait le bal en scandant “Africa”, tandis que dans les gradins, trois femmes magnifiquement parées de robes africaines brodées agitent des drapeaux aux couleurs du Cameroun. Puis, ce sont les ondulations des danseurs de Sayouba Sigué qui investissent la scène dans des costumes aux couleurs de la mer et du Sahara et sur des sonorités orientales, avant Aurélie La Sala au son des tambours puis Gumboots, une chorégraphie de Mourad Merzouki aux influences hip-hop toniques. « Lorsque l’Afrique se réveille, elle révèle tout son amour », déclame un jeune chanteur au look street.

« Nous savions que c’était impossible, c’est pour cela que nous l’avons fait.« 

dominique hervieu
Les danseuses du chorégraphe nigérian Qudus Onikeku.

Autre temps forts du Défilé, le chorégraphe nigérian Qudus Onikeku a livré une version de quinze minutes de sa dernière création Re:INCARNATION, qui fait la une de notre dernier numéro d’Exit (lire), interprétée par dix danseurs de Lagos et seize danseurs lyonnais. L’artiste voulait montrer « les profondeurs de la culture noire », c’est chose faite avec ce tableau d’une intensité captivante et troublante. Au compte-goutte, des êtres étranges, peints en noir, certains portant des cornes, d’autres des masques africains, se précipitent sur scène avant de se figer. Puis, sur la musique live d’Olatunde Obajeun – une guitare électrique tout en réverbération par-dessus une ligne régulière de guitare du désert, ils s’animent doucement dans un rebondissement régulier, se rapprochent pour faire groupe, se déplacent sur scène dans des démarches étranges leur donnant l’allure d’un troupeau de gazelles, tirent la langue. Dans une énergie brute, les danseurs de Qudus Onikeku livrent ici un tableau de l’Afrique originelle et puissante. Un spectacle intense à retrouver au Radiant Bellevue les 8 et 9 juin dans le cadre de la Biennale de la danse.

Fatoumata Diawara sur la scène de Fourvière samedi 5 juin.

Diva malienne

Marraine de cette Biennale de la danse 2021, la chanteuse et compositrice Fatoumata Diawara est venue clore ce défilé détourné avec son blues du désert aux accents rock et sa voix profonde légèrement éraillée aux trémolos émouvants. Elle est apparue sur scène dans toute sa splendeur, une guitare bleue électrique se découpant sur sa robe rouge, un foulard africain dans les cheveux, un large et chaleureux sourire illuminant son visage. « Il est temps que l’Afrique se prenne en main, il est temps que nous nous acceptions et que nous nous aimions comme nous sommes, c’est mon message pour la jeunesse africaine ! » a-t-elle déclaré avant d’entamer une chanson en hommage au Mali. Puis la basse se fait groovy, la batterie, la guitare et le synthé s’emballent et elle danse, secoue son corps comme une prêtresse au sourire infatigable. Une accalmie, et elle « dédie ce morceau à toutes les grandes dames qui se sont battues pour la culture à travers l’Histoire, et à ma maman, Germaine Acogny. » La deuxième marraine du festival, chorégraphe et danseuse sénégalaise reconnue comme la mère de la danse africaine contemporaine, l’a rejointe sur scène pour le grand final. Les Grandes Personnes leur emboîtent le pas, suivis par les danseurs des premiers groupes qui ne parviennent plus à se tenir tranquilles dans la fosse. Leur joie communicative gagne les gradins où le public et même madame la ministre de la culture, présente ce soir-là dans l’amphithéâtre, se lèvent pour danser. Un défile unique et mémorable, conclu par la directrice du festival Dominique Hervieu détournant une citation de Mark Twain : « Nous savions que c’était impossible, c’est pour cela que nous l’avons fait. » Et bien fait.

Le Défilé, dimanche 6 juin après-midi au Grand théâtre de Fourvière, Lyon 5e, mode d’emploi.