C’est la grande enquêtrice française depuis l’affaire Grégory jusqu’à celle du Grêlé aujourd’hui. Patricia Tourancheau évoque les deux pour nous, à l’occasion de la sortie de son livre et de sa venue à Quais du polar.

Le Grêlé représente-t-il votre plus grand code case, à part l’affaire Grégory ?

Patricia Tourancheau : “Oui, c’est la plus longue dans le temps et surtout la plus mystérieuse. L’affaire Grégory n’est toujours pas résolue malheureusement mais on a une idée précise de ce qui s’est passé et de l’entourage familial qui a pu commanditer et commettre le crime. Le Grêlé, c’est vraiment l’énigme majeure pendant 30 ans, avec quelqu’un qui change de mode opératoire comme d’âge pour ses victimes si bien qu’il était très difficile de relier tous ses crimes, d’autant qu’il était gendarme.

Même si vous évoquez les dysfonctionnements de l’enquête dans vitre livre, le fait d’avoir pu le confondre 30 ans après montre les progrès du profilage et de l’expertise scientifique, non ?

Bien sûr, c’est extraordinaire ce rebondissement par l’ADN, et les expertises ont fait des progrès colossaux très utiles. Mais il ne faut pas oublier la part de chance qu’il y a comme dans toute enquête. Sans un petit bout de moquette sec conservé à la PJ on ne l’aurait sans doute jamais retrouvé. C’est tout le problème du fonctionnement des enquêtes, dans certains lieux de la justice, une chatte n’y retrouverait pas ses chatons… Et il reste malheureusement  de nombreuses victimes à déplorer dont les cas n’ont pas pu être reliés. C’est vraiment une affaire hors-normes.

« Le Grêlé a tout de l’archétype du serial killer à l’américaine. C’est vraiment Docteur Jekyll et Mister Hyde.« 

patricia tourancheau

La double personnalité est inhérente au comportement des criminels, mais celle de François Vérove, semble elle aussi hors-normes, surtout sur autant d’années…

Oui, c’est très rare en France d’avoir des personnalités aussi différentes et aussi cloisonnées. Il correspond plus à l’archétype du serial killer à l’américaine. C’est un criminel abject, violeur, pédophile, mais il est aussi tout aussi capable de se retenir, d’avoir une vie de famille pépère, d’être un bon papy ou un conseiller municipal. C’est vraiment Dr Jekyll et Mr Hyde. Les serial killers ont toujours une face sociale mais il reste malgré tout des marginaux dans leur mode de vie, avec des obsessions personnelles, que ce soit Guy Georges ou Pierre Chanal par exemple. Lui était particulièrement bien inséré et un caméléon dans ses crimes. C’est ce qui rend cette affaire particulièrement mystérieuse, et le coup de théâtre final encore plus fort.

Votre livre est très informé, très découpé mais aussi très bien écrit. Combien de temps mettez-vous à travailler sur une affaire d’une telle ampleur ?

J’ai commencé fin 1990 quand je suis arrivé à Paris et à Libé. L’affaire était encore secrète mais des progrès scientifiques avaient déjà été réalisés après l’identification de Guy Georges. J’ai commencé à prendre  des notes mais je n’arrivais strictement rien à démêler. Ce n’est qu’en partant de Libé en 2015 que j’ai pris le temps qu’il fallait en commençant d’écrire mes premiers articles pour Les Jours en 2016. J’ai tout repris ensuite en faisant 20 plans différents. C’est un travail obsessionnel et plaisant, la difficulté étant de respecter les victimes tout en racontant le détail des crimes, même les plus sordides, pour pouvoir être au plus près de la réalité de la personnalité du tueur et des faits qui sont commis. Il ne s’agit pas d’écrire un polar hors-sol, on entre dans la vie des gens. je suis heureuse quand j’ai un retour positif des victimes, comme c’est le cas avec celui-là.

L’affaire Grégory a représenté une rupture professionnelle pour vous, justement par rapport à la déontologie et au respect des personnes. Dans le film Grégory que vous avez co-réalisé pour Netflix, on apprend comment un couple de journalistes sous pseudo a accusé délibérément Christiane Villemin dans plusieurs journaux, sans jamais être inquiété…

Oui, c’est Marie-France Bezzina qui témoigne à visage découvert, son mari étant décédé. Nous étions cinq co-réalisateurs et nous avions rusé pour l’avoir, elle n’aurait jamais accepté que ce soit moi qui l’interroge, mais on y est arrivé par une copine interposée. Elle est confondante de haine et de méchanceté. En plus elle est mère de famille, c’est inimaginable. Mais je crains qu’elle ne sévisse encore, toujours sous pseudo…

Pensez-vous que l’affaire Grégory puisse connaître bientôt sa résolution, comme celle du Grêlé ?

Il y a de nouvelles expertises génétiques en cours, c’est un peu la dernière chance, mais je crois que les résultats ne sont pas bons. Je garde un micro-espoir pour le couple Villemin, car on n’est vraiment pas loin de la vérité dans le dossier. Mais faute de preuves, je crains qu’on ne puisse jamais l’élucider.

Ce qui est beau, c’est que le couple Villemin ait pu rester ensemble après un tel calvaire…

Oui, c’est vraiment extraordinaire. Ils se sont soudés dans le malheur, alors qu’en plus ils avaient à peine 25 ans quand c’est arrivé, beaucoup d’autres couples auraient splité pour moins que ça… Mais encore aujourd’hui, ils se tiennent par la main, ils se sont reconstruits, c’est très émouvant.

Vous pourriez faire un docu sur Le Grêlé comme celui sur Grégory ?

Oui, dès l’affaire résolue, j’ai eu 10 ou 12 propositions en 48h, et pas des meilleures… Une série documentaire en plusieurs épisodes pour un gros diffuseur est en cours avec Elodie Polo-Ackermann qui produisait déjà Grégory ou Les femmes et l’assassin à propos de Guy Georges sur Netflix. Elle a l’art de constituer des équipes et de faire travailler ensemble des gens très complémentaires, comme par exemple Gilles Marchand à la réalisation pour Grégory.”

Propos recueillis par Luc Hernandez

Dernier livre :

Patricia Tourancheau, Le Grêlé, Le Tueur était un flic (Seuil, 19 €).

A Quais du polar :

Dédicaces sur le stand de la librairie Passages vendredi 1er avril de 17h à 19h, palais de la Bourse, Lyon 2er. Entrée libre.

Table ronde Au coeur des faits divers avec trois autres écrivains. Samedi 2 avril à 16h, Chapelle de la Trinité, Lyon 2e. Entrée libre.

Dimanche 3 avril à partir de 10h15 au musée des Beaux-Arts, Lyon 1er, Patricia Tourancheau présentera une oeuvre de l’exposition Vanités, à la mort, à la vie, en compagnie de deux autres écrivains.

Dimanche 3 avril de 14h30 à 15h30. Le bus des experts des faits divers. Départ des quais des Célestins, face au palais de justice, pour un tour de Lyon en compagnie de Patricia Tourancheau et Raphaël Malkin pour évoquer l’expertise criminelle dont la ville est le berceau. Inscription obligatoire. Gratuit.