Angelin Preljocaj nous raconte sa vision du Lac des Cygnes, grand spectacle pour 26 danseurs à voir à la Maison de la danse pour les fêtes. Et nous dévoile son prochain spectacle conçu avec Thomas Bangalter ex-Daft Punk. Entretien.

Vous aviez signé un Boléro de Ravel d’anthologie à la Biennale, il y a trois ans. Comment aborde-t-on un grand classique comme le Lac des cygnes ?

Angelin Preljocaj : « C’est un souvenir d’ado à l’Opéra de Paris, mais j’ai toujours aimé alterner un travail de laboratoire, sans narration, où je travaille vraiment sur la matière chorégraphique, comme avec Hendrix / Deleuze qui était passé au festival Chaos danse à Villeurbanne en début de saison, et mon désir de narration qui ne m’a jamais quitté. Les deux se servent toujours mutuellement. J’aime une tradition de principe, mais il me faut réactualiser son langage, sinon je ne crée rien… 

Ce besoin de narration vous vient de votre mère je crois, à qui vous racontiez des histoires en dansant…

Oui, c’était vraiment une bergère des Balkans, elle n’était pas allée à l’école. J’ai donc commencé à danser pour lui raconter des histoires effectivement et sans doute que je suis devenu chorégraphe pour ça. Elle est venue voir plusieurs de mes spectacles et elle me disait que ça la faisait voyager. Mais raconter des histoires reste une fonction essentielle de toute humanité. J’y reviens toujours.

Photo : Jean-Claude Carbone.

Avec Le Lac des cygnes, vous croisez tradition et actualité en en faisant une sorte de Black Swan apocalyptique et écolo ?

Oui, je commence toujours une chorégraphie avec trois mots : texte, contexte, prétexte. Le texte pour moi, c’est la danse. Le contexte, c’est notre société, notre époque. Le prétexte, en l’occurrence, c’est Le Lac des cygnes. Les lacs aujourd’hui sont en train de s’évaporer, et les cygnes font partie des espèces en voie de disparition. On ne sait pas si les enfants de nos enfants ne les verront pas comme une espèce d’oiseau disparue. C’est vraiment dramatique. Je voulais donc aborder Le Lac des cygnes comme un mythe ancien à l’aune de la réalité d’aujourd’hui.

Vous invitez même de la musique techno en plus de celle de Tchaikovsky…

Oui, pour rester joyeux d’abord, ensuite pour résonner avec notre époque. Mais il s’agit avant tout pour moi de créer une atmosphère passagère et de quitter un peu Tchaikovsky pour mieux y retourner, pour mettre en valeur cette musique dans le monde actuel. Tous les langages s’enrichissent sans cesse, la danse en est un et elle a toujours intérêt à se laisser contaminer. La musique aussi, on le voit par exemple chez un compositeur comme Bartok qui a toujours relu les musiques traditionnelles…

Les projection d’animation de Bori Labée derrière les danseurs du ballet Preljocaj.
(photo : Jean-Claude Carbone)

Vos spectacles sont toujours très esthétiques, comme le Boléro. Vous travaillez toujours avec la même équipe de designers ?

Non, j’aime changer à chaque fois. Dans d’autres spectacles comme Les 1001 nuits (aux Nuits de Fourvière, ndlr), j’ai pu utiliser des effets traditionnels du théâtre, des draperies ou des tulles. Ici, j’ai voulu utiliser le cinéma d’animation de Boris Labbée comme moteur de la dramaturgie. L’animation permet de faire des choses extraordinaires avec peu de moyens et d’inventer un univers qui ne soit pas réaliste, alors que la représentation sur scène reste bien réelle.

C’est encore facile aujourd’hui de produire des spectacles avec 26 danseurs ?

C’est toujours difficile, mais il y a une véritable demande de la part du public de retrouver le rituel des grands spectacles. On ne va pas faire que des solos ou des trios sous prétexte qu’on sort d’une crise ! C’est important que la danse reste aussi la fête des corps et du ballet, même si j’aime aussi, comme je vous le disais, le dépouillement ou l’expérimentation.

Quel sera votre prochain grand spectacle ?

J’ai commandé une musique originale à Thomas Bangalter, l’ancien Daft Punk, pour l’été prochain, qui va s’appeler Mythologies. Ce sera une nouvelle exploration des mythes anciens à partir d’une musique d’aujourd’hui.

On pourrait peut-être la voir aux Nuits de Fourvière ?

Pourquoi pas !”


Le Lac des cygnes par Angelin Preljocaj. Du jeudi 2 au dimanche 12 décembre à 20h30 (dim 5 à 17h, dim 12 à 15h) à la Maison de la danse. De 23 à 45 €.

Angelin Preljocaj. (photo : Joerg Letz)