Il y a beaucoup de belles choses dans Anatomie d’une chute, à commencer par l’épreuve du procès et de ses préparatifs qui fait toute la singularité du film, et met à jour toute la complexité humaine d’un couple, jusque dans les yeux de son enfant. Triet travaille et pense la société, et ça se voit. Malheureusement, elle psychote aussi, bavarde et explicite beaucoup, dans des mises en abîme de son milieu d’artiste pas toujours inspirées. Ici, donc, l’enfant est aveugle, puisque c’est lui qui a vu la fameuse « chute » du titre, ses deux parents sont écrivains et se chamaillent autant, sinon plus, sur leurs travaux d’écriture que sur leur couple à géométrie variable (toute ressemblance avec le couple Justine Triet / Arthur Harari au scénario est donc fortuite…). Et l’enfant (fabuleux Milo Machado Graner) joue au piano une musique obsédante destructurée qui fait penser à la « chute » du titre, au cas où on n’aurait pas compris…

Daniel (formidable Milo Machado Graner, témoin oculaire.

Justine Triet et l’intellectualisation inutile

Intellectualiser inutilement et faire penser ses personnages sur eux-mêmes a toujours été le gros défaut de Justine Triet scénariste, ce qui minait déjà une comédie comme Victoria, déjà autour d’un procès… La metteuse en scène, elle, se contente d’une caméra à l’épaule unique de bout en bout, avec quelques effets de zoom incidents. Mais son réalisme – très intéressant quand il s’agit de filmer les rouages du procès – se heurte trop souvent à des artifices assez stéréotypés : une famille bien bourgeoise qui évoque ses problèmes d’argent mais habite un chalet géant avec domestique, un Wajdi Mouawad intervenant au procès en expert-psychiatre avec un discours plaqué et mal joué, ou les sempiternelles jalousies entre artistes…

Wajdi Mouawad en expert-psychiatre au procès.

Anatomie d’une chute, Palme d’Or un peu surestimée

De ce point de vue là, Sandra Hüller montre une nouvelle fois la grande actrice qu’elle est – particulièrement dans les scènes avec son fils, superbes. – mais à travers un panel d’émotions égrenées comme un catalogue en fonction des circonstances… Sans que son personnage (qui porte le même prénom qu’elle, comme celui de Samuel Théis), n’acquiert jamais la moindre chair, même quand elle évoque sa bisexualité…

Elle a toute l’opacité nécessaire pour aborder le véritable sujet du film : la déflagration intérieure et la dépossession de soi qu’implique la mort suspecte et le déballage intime des assises. Si le scénario du procès reste admirablement orchestré dans ses enjeux successifs (sans doute la patte Arthur Harari), il nous manque un approfondissement des personnages et un supplément d’âme à cette mise en scène plus plate que l’Allemagne pour vraiment nous emporter. Anatomie d’une chute reste un film singulier, sans doute le meilleur de sa réalisatrice, mais sans doute aussi un peu surestimé d’avoir été une Palme d’Or. A vous de juger…

Anato­mie d’une chute de Justine Triet (Fr, 2h30) avec Sandra Hüller, Swann Arlaud, Milo Machado Graner, Samuel Théis… Sortie le 23 août.