Il n’y a pas beau­coup de docu­men­taires qui sont construits comme un rêve. C’est le cas de ce Marin des Montagnes, venu des hauteurs sud-améri­caines du cinéaste brési­lien Karim Aïnouz (Le Jeu de la Reine, avec Jude Law, c’est lui), à la recherche de son père de l’autre côté de la Médi­ter­ra­née, en Kaby­lie. La traver­sée mari­time et la capta­tion des visages de tous âges cares­sés du sel marin est une pure splen­deur, bercées par la voix-off du réali­sa­teur avec toute la sensua­lité du Brésil, décli­née comme une lettre à sa mère, écrite en janvier 2019.

Lettre d’amour en Kaby­lie

La mère de Karim Aïnouz.

Il y a du Frédé­ric Mitter­rand (version murmures) dans ces souve­nirs capi­teux d’un amour impos­sible, qui remonte à la surface du film au fil des archives, d’un bout à l’autre du monde, passé par les Etats-Unis et le Colo­rado le temps d’une rencontre. Cette vie commune impos­sible, sépa­rée par les régimes révo­lu­tion­naires respec­tifs, aura juste eu le temps de faire naître le fruit bien réel d’un amour : Karim Aïnouz lui même, en retrait tout du long mais se filmant constam­ment au travers de ce qu’il découvre, jusqu’à rencon­trer ses propres doubles algé­riens. Ce poème de l’ab­sence en plein Atlas est on ne peut plus incarné dans un art du portrait poignant, notam­ment le temps q’un enfant accepte d’être filmé en partant à l’école à Tague­mout Azouz, là où son père y allait avant lui.

La créa­tion du monde, entre saudade et calen­ture

On ne peut plus poli­tique quand il évoque les crimes de la colo­ni­sa­tion française ou le régime milliar­daire de l’Al­gé­rie qui « laisse pour­rir son pays comme un chien malade« , ce Marin des montagnes est un poème d’amour à la recherche de l’homme avec qui sa mère « aurait rêvé de parta­ger sa vie mais qui ne l’a jamais revu. Entre saudade et calen­ture (la fièvre des marins pris de folie les nuits tropi­cales), Marin des montagnes a l’in­ten­sité des chefs-d’oeuvre, intime et pluriel, au passé recom­posé dans la vita­lité du présent, rejouant pour de vrai à travers les yeux d’une jeune fille la « créa­tion du monde selon la mytho­lo­gie kabyle« .

Marin des montagnes de Karim Aïnouz (Br-Fr-All-Alg2021, 1h35). Docu­men­taire. Sortie le 17 avril.

Auto­por­trait de tour­nage de Karim Aïnouz.

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